Devant l’effroyable emballement du climat et la multiplication des événements extrêmes sur la planète entière, n’est-il pas temps de chercher une parade qui ne soit plus ni d’affirmation de puissance – voyez notamment la Russie, la Chine, les USA, et les répercussions de leurs gesticulations guerrières en Afrique noire –, ni de course au profit, ni de « développement durable », mais bien de survie, de vie sous toutes ses formes, de vie heureuse enfin, car la vie ne vit ni ne dure sans épanouissement ?
Où gît la cause de l’emballement ?
Les projections les plus pessimistes ne l’avaient pourtant pas prévu si rapide.
Il s’est dit récemment que les inégalités sociales participent de l’effondrement : un des symptômes du mal paraît bien être le doublement soudain de la fortune des milliardaires, et, sans même parler des famines et de la misère extrême, la montée de la pauvreté même dans les démocraties qu’on disait avancées : l’Europe, sur ce plan, rejoint une situation déjà fortement installée aux USA. Et, avec tant de moissons incendiées, inondées ou bombardées, que restera-t-il à manger demain ?
Qu’on n’aille pas incriminer la surpopulation. Les chiffres récents de la dénatalité montrent la fragilité de notre espèce au temps de l’anthropocène qu’elle n’a suscité, il faut le craindre, que pour se muer elle-même en une pure strate géologique : moins par ses ossements propres que par les mutations et les ravages de la biosphère, par les milliards de cadavres d’objets non biodégradables, par les substances chimiques libérées du fait des pratiques agricoles et industrielles, voire par les atteintes aux reliefs. Et nous vivons toujours sous l’épée de Damoclès d’une catastrophe nucléaire définitive.
Ce qui frappe dans les raz-de-marée ou les inondations, ce sont les flots de voitures emportées par les courants, ou bien les paysages réduits à des amas informes de débris de constructions et d’objets de consommation qu’on ne recyclera jamais. L’incendie de la végétation près de Volos en Grèce, en provoquant l’explosion des munitions d’une caserne de l’armée de l’air, a frappé les sols de toxicité, pour combien de siècles ? Le «développement durable» n’y changera rien : les batteries au lithium des voitures électriques ont provoqué l’incendie récent d’un cargo chargé de milliers de véhicules neufs en face de la Hollande, et combien d’autres se sont enflammées cet été sur le pourtour de la Méditerranée, à Hawaï, ou dans les forêts canadiennes ? La notice d’utilisation d’un aspirateur sans fil, par exemple, vous avertit à chaque paragraphe d’un danger d’inflammation.
Et qui a pris soin d’avertir les vacanciers des paysages dévastés qui risquaient de les attendre ou qu’ils allaient provoquer eux-mêmes ? Qui organisera la reconversion à venir des hôteliers et de toute l’industrie touristique, une fois défigurées les beautés qu’elle entendait ouvrir aux visiteurs ? Que fera-t-on des grandes surfaces et de leurs millions d’hectares bétonnés, une fois reconnue la réalité de la dé-consommation qui se précipite ? Comment la France se remettra-t-elle des investissements et des chantiers sans lendemain qu’elle consacre à la préparation des JO 2024, autrement qu’en supportant les diktats d’une Troïka et la dictature policière ?
Il y a un moteur de l’effondrement qui semble avoir jusqu’ici échappé aux analystes : je veux parler de la 5G et des crypto-monnaies.
En accélérant les transactions et les échanges sans nul bilan d’étape, sans nulle prise en compte des réalités que pourtant elles impactent à la manière des événements climatiques les plus extrêmes, l’une et les autres rivalisent dans l’enrichissement des milliardaires et dans l’assèchement des ressources communes, celles du vivant, qui relèvent du temps long.
Je n’ai pas la compétence d’une démonstration sur la question. Juste cette réflexion : s’il suffit d’un clic négligeant pour fermer ou délocaliser une industrie, ou encore ruiner une agriculture ou une politique de santé, l’enrichissement de l’actionnaire à qui aura profité ce clic se comptabilisera précisément à partir de ces ruines. Mais l’actionnaire n’en saura rien. Ou croira pouvoir « ruisseler » ailleurs.
Ah que les Amish ont raison ! Que les ZAD, que les « soulèvements de la terre », que la résistance des peuples autochtones... tardent à se multiplier !
Que ce soit bien de ce côté-là que réside la réponse, cela se lit dans la férocité croissante des actions à leur encontre. Lorsque le sage montre la lune, l’imbécile montre le doigt.
Pendant ce temps, nous sommes assaillis de pétitions et de requêtes pour la protection qui des abeilles, qui d’une forêt, qui d’un littoral, ou pour l’interdiction d’un chantier écocide ou d’une substance toxique, ou encore pour le soutien aux victimes de la mondialisation, aux migrants en mer ou dans les déserts... Je signe de bon cœur. Mais lorsqu’il s’agit de donner, un scrupule m’arrête autant que mon banquier : tous les fonds qui transitent par internet ne viennent-ils pas, qu’on le veuille ou non, grossir les possibilités de spéculation instantanée des profiteurs du système ? N’est-ce pas là le but, d’ailleurs, de la fin annoncée de la monnaie en « espèces », en vue d’une circulation débarrassée de toute entrave ?
Alors ? Ne faudrait-il pas susciter (la chose a été, est encore maintes fois essayée, mais jamais à grande échelle) une monnaie alternative, sanctuarisée, comme on prétend le faire de quelques parcs dits naturels ou de zones de non-pêche (mais ce n’est alors que pour retarder leur exploitation à grande échelle et, en attendant, chasser ceux qui en vivaient sans y attenter), et simultanément spécifique à chaque action et résistante à toute convertibilité automatique, à toute ponction et à toute mainmise, même étatique ? Une monnaie refuge, en somme, dont on ne totalisera jamais les montants autrement qu’en retombées locales et vivifiantes ? Nous l’attendons. Nous voulons pouvoir investir, une bonne fois, pour l’avenir.