- Il n’y a pas de « guerre » au Proche-Orient entre « Israël et le Hamas ». Mais des opérations de police conduites par l’armée dans des territoires sous contrôle d’Israël et dirigées contre une organisation de type étatique, au départ démocratiquement élue, mais qualifiée de terroriste. Comme c’est l’armée israélienne qui est aux commandes, dans cette opération policière le permis de tuer est à la fois implicite, évident dans ses effets, et explicite : on apprend ainsi que le pilotage par IA utilisé par Tsahal est programmé pour autoriser jusqu’à une centaine de victimes par cible (https://www.youtube.com/watch?v=nDiVkQurSAw). Si les cibles prévues, à savoir les « terroristes » du Hamas (mais visiblement aussi les journalistes, poètes, intellectuels, personnels médicaux et humanitaires…) s’élèvent à 37.000 personnes, et si, comme Netanyahou l’indiquait le 10 mars dernier (https://www.reuters.com/world/middle-east/netanyahu-says-least-13000-terrorists-among-palestinians-killed-2024-03-10/), à cette date 13.000 « terroristes » avaient été « détruits », cela signifierait qu’Israël s’autoriserait jusqu’à 3.700.000 victimes pour « finir le travail » (soit, les Gazaouis sont moitié moins nombreux!), et que les opérations pour en « détruire » 13.000 auraient pu sans déroger à l’objectif militaire totaliser jusqu’à 1.300.000 victimes (la plupart collatérales et comptant pour zéro aux yeux de Netanyahou qui accuse le Hamas de se servir de « boucliers humains ») : admettons au minimum, en rabattant les pertes gazaouies à 10 victimes par cible atteinte en moyenne, 130.000 victimes (un chiffre à vrai dire à mon avis inférieur à ce qu’il serait permis d’estimer au vu de l’énormité des explosions et des ruines : une équipe du « Monde » qui a pu participer à un largage aérien de vivres sur Gaza à partir d’Amman en témoigne encore ce samedi même).
La même police de l’armée sévit en Cisjordanie sous un vocabulaire différent, avec des armes distinctes, moins meurtrières, mais selon la même politique d’élimination ciblée à impact élargi.
- Le « Ministère de la santé du Hamas » auquel tous les médias attribuent imperturbablement l’évaluation quotidienne du nombre de victimes à Gaza représente une institution de Gaza, non du Hamas : les deux ne sont pas synonymes ! D’autre part on peut s’interroger sur la capacité dont peuvent encore disposer les « autorités » du Hamas, qui officiellement (et jusqu’au 7 octobre avec le soutien d’Israël) était en effet chargé de gouverner Gaza, pour procéder à des évaluations : non pas que celles-ci seraient exagérées, mais, nous venons de le voir, on peut au contraire les estimer largement sous-évaluées, puisqu’on ne sait rien des victimes ensevelies sous les décombres (souvent déjà nivelés par les bulldozers israéliens), que ce sont fréquemment des familles entières qui sont éradiquées sans laisser de témoin, et que les blessés ne peuvent être soignés – sans compter les ravages de la soif, de la faim, du manque d’hygiène et des maladies.
- Certes, les images montrent encore, en tout cas à Rafah, des foules de crève-la-faim : le fait qu’il n’y ait quasiment plus d’abris en dur oblige les gens à vivre dehors, et donc à être visibles, mais s’il n’en restait que 100.000 sur l’étroite bande côtière que constitue le territoire, jusqu’au 7 octobre construit tout en hauteur, la même impression de foule au sol s’imposerait encore sur les vidéos des drones ou des caméras qui pourraient nous parvenir.
- À quoi sait-on que le Hamas dispose encore d’armes, d’autorité ou de capacités d’action sur le territoire ? L’armée israélienne se retire, nous dit-on, du moins d’une partie du sud. Certes les drones frappent encore, dès peut-être qu’ils repèrent des hommes en âge de porter les armes (voire des garçonnets : au cours de l’interview d’une infirmière, Imane Maarif – celle qui a témoigné sur les hôpitaux de Gaza au Sénat français –, on entend son interlocuteur évoquer nombre de gamins tués d’une seule balle dans la tête : https://www.youtube.com/watch?v=WmfHdd9DkAc). Les ruines peuvent encore cacher des « combattants », de même que les tunnels non encore excavés. Mais on se demande vraiment quel type de coordination peut encore exister au milieu d’une si évidente dévastation. L'attaque de drones iraniens, ce dernier week-end, arrivait à point nommé pour détourner le public de l'obsession du génocide en cours et permettre à Israël de frapper encore sans retenue.
- Comment les ou des otages auront-ils, auraient-ils pu survivre dans les conditions infligées au peuple de Gaza, étant donné aussi les frappes systématiques d’Israël, dont on sait qu’elles ont tué au moins trois otages qui pourtant se signalaient comme tels ? Avec qui, parmi les survivants de l’enclave, les représentants du Hamas qui sont, hors de Gaza, les interlocuteurs d’Israël en Égypte ou au Qatar pourraient-ils parlementer pour en connaître (et sur quel canal ?) ? On se demande, à voir les fameux « pourparlers » pour une trêve décidément rester toujours infructueux, si ce ne serait pas tout simplement parce que la monnaie d’échange, à savoir les otages, n’existe plus ou quasiment plus, ou encore que personne ne sait plus rien à leur sujet (voir par exemple https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/selon-le-hamas-les-otages-israeliens-sont-difficiles-a-localiser-dans-la-bande-de-gaza-20240412_). Cela, si cette terrible éventualité s'avérait fondée, ni Nétanyahou ni son armée n’oseraient l’avouer, car ce serait leur œuvre autant que celle du Hamas. L’interdiction d’accéder à l’enclave, opposée par Israël tant aux journalistes qu’aux humanitaires, dit surtout l’énormité soit de la tentation du génocide (initialement avouée, voire martelée, il faut le rappeler), soit d’un crime, voire d’un fiasco, à cacher ou dont on espère avoir le temps de nettoyer ou camoufler les traces.