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Billet de blog 15 janvier 2015

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Un billet posté ailleurs en 2006 (affaire des caricatures danoises)

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20/02/06. Musulmans d'Europe, ou Europe musulmane? Par Renée Piettre

Quelques caricatures danoises, et voici, depuis quinze jours, tout l’Islam dans la rue. Pain bénit pour les apôtres de la libre pensée et de la liberté d’expression, qui dénoncèrent immédiatement une vague de fanatisme archaïque. Tous les gazetiers d’Europe fièrement brandirent la plume de Voltaire, ils firent front avec leurs collègues danois pour déclarer la guerre à l’Infâme intolérance ; et nul doute qu’à Paris nous sommes nombreux, y compris parmi les antipapistes, à encourager leur audace au nom de nos traditions et convictions libertaires. Nos résistants redoublent de bravoure à mesure que la bannière de Mahomet monte à l’assaut des ambassades. On pourfend les tièdes et les lâches, tel ce géant de la grande distribution qui pour conserver sa clientèle arabe se vante d’avoir écarté de ses rayons les produits danois ; ou le journal incendiaire de Copenhague lui-même, qui maintenant fait acte de contrition dans les quotidiens arabes.

Mais, me direz-vous peut-être, ce n’est pas une nouvelle ; ça fait deux semaines qu’on ne parle que de ça, et qu’il faudrait d’ailleurs qu’on en parle un peu moins, pour rendre à l’affaire ses justes proportions : une poignée de dessins médiocres, il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Or en ce lendemain de week-end, face à la marée toujours montante des haines, de Rome à Téhéran, à Jakarta, au Nigéria, il me semble que l’impératif de savoir raison garder ne doit plus nous empêcher de prendre la mesure des événements. Ce qui est en jeu dans cette affaire, est-ce bien la seule liberté d’expression ?

On comptait, à la fin de la semaine dernière, une trentaine de morts au Nigéria et en Libye, des églises chrétiennes pillées, un ministre italien démis de ses fonctions pour avoir arboré un T-shirt orné d’une des caricatures, cependant que l’Iran, renchérissant sur la fureur par l’ignominie, prétendait tester les limites de la liberté d’expression en offrant 12000 euro au meilleur caricaturiste de l’holocauste.

Dans ce miroir iranien, les dessins danois apparaissent alors pour ce qu’ils sont : non des espiègleries anticléricales, mais des insultes, un peu drôles et un peu sordides, mais non moins brutales dans leurs motivations et leurs effets. Car c’est bien un racisme haineux que les caricatures déchaînent de part et d’autre – du côté occidental l’hystérie étant d’autant plus pernicieuse qu’elle s’ignore elle-même et se croit indemne du religieux.

On invoque le droit de blasphémer en terre laïque. Or, un blasphème ne vaut que contre le dieu du blasphémateur. On ne blasphème que ce qu’il est convenu d’adorer. Quand Voltaire parodiait une fatwa c’était pour se moquer du pape. Brûler les dieux des autres, c’est un crime de guerre. Les caricatures danoises constituent donc bien une agression, à moins que l’Europe se reconnaisse elle-même dans l’Islam

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