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Billet de blog 17 janvier 2015

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Liberté d'expression et liberté de conscience

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La célébration des « valeurs républicaines » au lendemain d’un carnage largement dirigé contre la libre expression d’une part[1], mais issu des ratages ininterrogés de l’école républicaine d’autre part[2], nous laisse un goût vaguement amer et beaucoup d’inquiétude. Sur quoi, en effet, est fondée la liberté d’expression ? Sur la liberté de conscience. Si l’une a ses limites, l’autre n’en a pas : la liberté de conscience doit permettre à terme, si nécessaire, d’élargir la liberté d’expression à ses risques et périls au-delà des limites éventuellement instituées, dès lors que celles-ci blessent la conscience.

La conscience peut et doit pouvoir s’élever contre la loi. La conscience est critique ou elle n’est pas. La conscience relève de sa propre loi, ou sa liberté n’est pas. Toute capacité authentique de résistance naît de la conscience critique et d’elle seule.

Or, dans un État de droit, la conscience peut elle-même se référer à une autre loi qu’elle tient, en son for intérieur (son forum, son espace de débat intérieur), pour supérieure à celle de l’État. Telle est aussi, qu’on le veuille ou non, la loi divine. C’est celle d’Antigone bravant l’autorité de Créon au nom de ses devoirs humains et religieux envers son frère. En ce sens, c’est-à-dire au strict sens d’un tribunal intérieur où la conscience est juge et met en balance les lois qui limitent ou orientent l’action, la loi divine est une source de liberté et son autorité toujours dépasse la loi de l’État. C’est la themis des Grecs, le socle de la loi divine qui demeure quand le nomos, l’usage ou la loi de l’État changent.

Conscience, conscience, instinct divin, immortelle et céleste voix… (Rousseau)

Encore faut-il, pour que la conscience reconnaisse sa loi, ne pas l’abrutir de propagande idéologique – politique ou religieuse –  ou du matraquage publicitaire de ce que certains appellent le fondamentalisme capitaliste.

On ne saurait identifier cette loi divine de la conscience à de quelconques « valeurs républicaines ». La laïcité prônée aujourd’hui est souvent le masque de la peur devant la liberté de conscience, rebelle à toute soumission, et qui implique la liberté d’adhésion à ce qu’elle juge le meilleur, la liberté de choisir et de critiquer sa loi.

On ne saurait pas davantage confondre cette loi divine avec une loi religieuse circonstancielle, imposée du dehors, surtout quand celle-ci singe à son tour les lois de l’État et brandit les mêmes armes liberticides que les États les plus corrompus, les plus autoritaires et les plus tyranniques de la planète. Car la loi religieuse devient alors totalitaire et tue la conscience.

Mais le même danger guette la loi républicaine dès lors qu’elle prétend asservir la conscience et limiter l’exercice de la loi divine. Or nous savons qu’aujourd’hui les neurosciences et la pharmacopée psychiatrique permettent de manipuler les consciences, autrement dit de les anéantir.

Avatars de Guantanamo, des prisons comme celles que risquent de nous préparer les criminologues d’aujourd’hui pour y tuer dans l’œuf les velléités insurrectionnelles en accueillant une criminalité non pas effective, mais potentielle et supposée, auraient précisément cet effet-là. La liberté se joue aujourd’hui au sein même des prisons, quand le for intérieur, s’il n’est pas laminé d’emblée par l’administration pénitentiaire elle-même, se réduit à la dissimulation ou à la provocation justement parce qu’on n’y reconnaît plus la liberté de conscience ; quand la liberté religieuse ne peut plus s’y réfugier ailleurs que dans sa propre caricature.


[1] Liberté d’expression des caricaturistes, cependant tôt muselés en notre démocratie, si on se rappelle Siné, Stéphane Guillon, Didier Porte, mais aussi quelques-uns de ceux que l’on juge et condamne aujourd’hui au nom d’un unanimisme émotionnel et d’une haineuse bien-pensance.

[2] Des tribunes récentes nous rappellent que les terroristes qui viennent d’être abattus sont directement issus des pupilles de la Nation et de l’École républicaine, mais n’ont fréquenté que très superficiellement la tradition musulmane !

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