Ce n’est plus seulement un soupçon : l’ère Macron (on aimerait pourtant ne pas avoir à l’envisager comme l’entrée dans une ère nouvelle) s’emploie à enterrer la démocratie en France, en empruntant, comme toutes les dictatures en herbe, les voies
- du déni des évidences (après l’affaire Benalla et tant d’autres : Steve ne serait pas tombé à l’eau / Steve serait tombé avant l’intervention de la police / rien ne prouverait qu’il ne soit tombé qu'à cause de cette intervention…),
- du détournement du sens des mots et de la logique des propositions (« il n’y a pas de violences policières dans un État de droit » – or un État n’est de droit que s’il respecte la Constitution et les droits des citoyens !),
- de la répression des libertés,
- de la surveillance et de l’espionnage intérieur, aujourd’hui via la toile, la reconnaissance faciale, etc.
- de la stimulation ou du laisser-faire explicite de la sanglante répression policière contre toute manifestation ou velléité supposée de manifestation sur la voie publique (une loi sous Sarkozy, sous prétexte de protéger les policiers – et tout ce qui porte képi –, les a d’ailleurs rendus quasi inattaquables en justice),
- de l’instrumentalisation de la justice,
- de la propagande médiatique, moyennant d’évidents « éléments de langage » (ainsi la mise en exergue systématique du coup de gueule de Mélenchon devant la porte de son local quand elle lui reste fermée en pleine perquisition),
- d’une main basse sur les moyens financiers issus de la mutualisation et de la solidarité (allocations, caisses de retraites…),
- de la privatisation des biens publics,
- de l’affichage d’une commisération seulement pour des « victimes » que, sans volonté ferme et moyens matériels et humains conséquents, on sera de toute manière inefficace à protéger (l’émoi autour des féminicides),
- et maintenant, de la désignation d’un bouc émissaire, qui sera par définition le plus faible et le moins protégé juridiquement : le migrant. Parallèlement au tout nouveau (mais de longue date rebattu) discours présidentiel, les médias acquis au pouvoir répètent à l’envi que les agressions perpétrées par des étrangers seraient une évidence ressentie par le petit peuple de la République (voilà justement du populisme !). Élément de langage contre le discours de gauche, de la part de journalistes habitués des beaux quartiers et des ors du pouvoir : « Mais vous vivez où ? » D’agressions contre des étrangers, largement établies, et notamment du fait de bavures policières, il ne sera jamais question.
Le mot d’ordre fut d’abord d’aller vite dans des réformes promises en 2017. La vivacité et la radicalité de la réaction sociale des Gilets Jaunes a rapidement généré la panique gouvernementale, et la panique a entraîné la répression, dont les excès vont croissant et ne sont jamais admis, encore moins remis en question par le pouvoir.
Un levier répressif existait : celui de la lutte contre le terrorisme. Il visait Al Qaida, Daech, les « islamistes » ; mais ces derniers ne sévissant guère en France ces derniers temps et les instances de répression ayant à trouver des coupables sur lesquels exercer leur nouvel arsenal juridique, d’un côté on en soupçonne l’ombre et la menace derrière chaque étranger entrant, de l’autre on désigne de nouveaux terroristes déjà là mais supposés encore dormants : l’extrême-gauche et les écologistes (du moins ceux qui brandissent des homards de papier), zadistes, militants anti-nucléaires, des poignées de militants non-violents contre lesquels on déploie des forces de police ahurissantes et sans doute fort coûteuses pour le contribuable. L’affaire Tarnac, son absurdité, la paranoïa qui la déclenche, se rejouent ainsi tous les jours sur le sol français, pendant que se remplissent d’hommes, de femmes, d’enfants des centres de rétentions sordides.
On se rappelle les heures sombres de la Retirada dont c’est en 2019 le 8Oeanniversaire, ces Espagnols fuyant la sauvagerie de la répression franquiste pour ne trouver de l’autre côté des Pyrénées que des trous dans le sable ou d’abjects camps de concentration français[1]. Les revoilà donc, ces camps.
Enfin l’accusation de « populisme » permet (tout en ressuscitant la peur du rouge, du partageux) de feindre de soupçonner de visées totalitaires le seul mouvement de gauche (quoi qu’il dise lui-même) qui rencontre un réel succès dans l’opinion : et cela alors même qu’on s’emploie à légitimer le RN.
Dans ce contexte, hâtons-nous d’ajouter – avant que la crise financière qui démarre n’envahisse toutes les « Unes » et ne domine nos préocccupations quotidiennes – : c’est un réel soulagement que de voir s’afficher sur quelque compte twitter ou chaîne youtube l’impressionnante haie d’honneur accueillant les « décrocheurs » de portraits du Président qui se rendent au tribunal de Paris, les visages souriants et déterminés de leur groupe soudé avançant de front, bras dessus bras dessous sous les vivats ; et c’est un sentiment de fragile victoire, que de lire sur Reporterre l’énoncé complet et les attendus, non dénués d’humour, du jugement des deux décrocheurs relaxés à Lyon. Il n’y a plus de justice, mais – peut-être – il reste des juges.
[1] « Le spectacle qui se déroule à la frontière et que l’on peut examiner le long des routes défie l’imagination la plus extravagante. Vision dantesque, c’est une expression d'une banalité navrante pour résumer l’hallucinante vision de ce qui n’est pas une exode, mais qui prend l’allure d'une véritable invasion par une horde déguenillée. » (Le Petit Marseillais du 7 février 1939)