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Billet de blog 20 janvier 2016

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Halal, haram

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La Nation débat gravement de la question de savoir si l'islam est compatible ou non avec les lois de la République. Et de buter systématiquement sur la question du "voile", déclaré anticonstitutionnel et même, avance-t-on doctement, absent du Coran, qui ne le réclamerait aucunement. Chaque athée se fait même volontiers imam en la matière : Mesdames les musulmanes, ne cachez pas votre visage et votre corps, n'en ayez pas honte, Allah et le Prophète ne vous ont rien demandé de tel.

Ce discours sous-entend que la religion chrétienne ou le judaïsme, pour ne citer qu'eux, sont parfaitement compatibles avec les lois de la République telles qu'un premier ministre même les fantasme : et l'on oublie que l'apôtre Paul a fait de l'homme le « chef » de la femme et demandé expressément à la femme de se couvrir la tête ; l'on oublie que l'Eglise catholique n'admet pas l'ordination des femmes, exclut le mariage des prêtres... L'on oublie que la coutume de séparer, à l'église, les hommes (à droite) et les femmes (à gauche) reste vivace dans bon nombre de communautés chrétiennes, et que l'on peut voir encore bien des « fichus » sur la tête des femmes dans les campagnes même athées de Russie, par exemple... Nos cultures "laïques" ne sont pas en reste dans la stigmatisation du corps féminin quand elles pratiquent des usages inverses: à Cologne dont on parle aujourd'hui, le "Pasha", plus grand bordel d'Allemagne, offre sans complexe en ses divers étages une vitrine internet à un sulfureux catalogue de femmes dénudées, dont l'usage s'achète à partir de 30 €; la proposition de Cameron visant à rendre obligatoire l'apprentissage de la langue anglaise par les seules femmes musulmanes supposées immédiatement reconnaissables – sous peine d'expulsion du territoire national – instaurerait la même stigmatisation (la connaissance de l'anglais a-t-elle d'ailleurs empêché l'émergence de "Jihadi John" ou de la recruteuse de Daesh, Aqsa, au Royaume-Uni?).

Ce discours affecte aussi de croire – et croit de bonne foi – que la pratique religieuse se déduit d'un texte sacré, oubliant le poids des traditions et des coutumes locales, ignorant aussi les possibles effets, sur les évolutions des pratiques, des clichés qu'il véhicule et assigne lui-même. Même ouvert et tolérant par principe, ce discours cache mal ses répugnances inconscientes, et suscite, de la part de ceux et celles qu'il stigmatise ou dont il prétend savoir mieux qu'eux-mêmes ce qu'est leur religion, la réserve et/ou une affirmation identitaire autonome potentiellement favorable aux extrémismes.

Enfin ce discours ne sait pas à qui il s'adresse : – aux citoyens et résidents originaires d'un pays majoritairement musulman, selon les chiffres avancés par le ministère de l'intérieur français, lequel comptabilise les musulmans d'après leur origine nationale voire "ethnique", comme si cette origine assignait à une religion particulière ? Ils sont alors 5 à 6 millions et il conviendrait de préciser combien d'entre eux sont citoyens français, combien sont seulement résidents. – Aux musulmans déclarés ? Ils sont environ deux millions alors, semble-t-il (chiffres Insee 2010), dont de nombreux citoyens français, y compris un nombre croissant de « Français de souche ». Ils représentent la deuxième religion de France, souffrant d'un déficit chronique de lieux de culte et de réunion à cause de la méfiance des pouvoirs publics et d'un environnement local hostile. L'islam n'est nullement la religion des étrangers.

L'islam est en France et en Europe la religion dont on parle et dont on s'occupe, dont chacun croit savoir quelque chose... Le carême est ignoré, mais tout le monde connaît le ramadan. La viande halal ou casher passe pour relever d'un abattage rituel : or le simple fait d'en dénoncer la nature religieuse fait de l'abattage supposé « ordinaire » et « normal » un abattage lui aussi religieux, un religieux qui s'ignore : le chrétien et l'athée mangent de la viande saignante, de la cochonnaille et du boudin, le juif et le musulman n'en mangent pas. De la même manière, le rejet d'une coutume ou d'une mode vestimentaire « islamiques » affecte, par contre coup, d'une valeur religieuse (fût-elle laïque) la mode vestimentaire supposée commune et compatible avec la démocratie.  Il y a lieu d'ailleurs de se demander pourquoi la mode féminine est la seule décriée : gandoura et djellaba masculines sont paraît-il solubles dans la démocratie. Décidément, les bêtes et les femmes[1], de quelque côté qu'on se place, seront toujours la cible privilégiée des diktats religieux.


[1] Le féminisme qui s'abrite derrière l'exception de la sainte Vierge ou autre "grande dame" n'est pas un argument!

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