Nous sommes Français, que diable !
Impertinents, spirituels et cocardiers, avons-nous oublié que c’est notre métier que de rappeler à la face de l’Europe et du monde notre gouaille inventive et notre sainte horreur du sérieux ?
Nous les pionniers de l’anticléricalisme, nous voici pris au piège des curés d’Allah. Nous voici entraînant dans le même piège des millions de gens qui s’étaient crus libres en traversant la Méditerranée, et qui sur l’autre bord retrouvent sabre franc et goupillon mauresque raturant de concert une loi centenaire – ou la réinterprétant à leur avantage, c’est selon ! Nous voici, pour éviter quatre ou cinq voiles dans nos lycées, et maintenant dans nos universités, à renchérir sur Sarkozy qui suppliait tel imam genevois d’imposer le bandana à toutes les jeunes filles abandonnées à sa juridiction sous le prétexte d’une religion qu’on leur supposait par le simple fait de leur appartenance « ethnique » ! Et les autres alors, que feront-ils ? Assaut de kippas, bien sûr, et de croix et de médailles et d’amulettes, qui pourtant ne se verront jamais autant que les fameux bandanas ! Vaincus d’avance dans la course aux signes, ils se réfugieront dans la clandestinité honteuse et revancharde. Ils se sentiront sur la défensive, nargués « chez eux » dans leurs droits d’« autochtones », et le vote populiste déferlera, bien sûr !
Cela fait vingt ans que le mal enfle et s’étend, et que chacun, faute de comprendre simplement ce qu’est une religion, ce qu’est cette religion, ce que sont les autres religions, multiplie les faux pas et les virages catastrophiques.
Une religion ce n’est pas méchant, c’est juste à peu près indispensable, ça se loge où ça peut quand il ne s’agit que d’aménager, au cas où, un refuge pour les siens, un ancrage dans le cosmos et dans la succession des générations, une langue pour articuler les expériences que chacun ne vit qu’une fois, et le lieu de la fête pour tous ; ça s’ingénie à cultiver des parias juste pour qu’on ait quelqu’un à brocarder ou à encenser, juste pour garder à portée de main des gens mis à part (curés, chamans, eunuques, rois ou idoles des masses, voire une classe sociale entière ou les femmes dans leur totalité…), comme on met des trésors de côté, tantôt magnifiques, tantôt inutiles et dérisoires, attendant de servir ; mais ça fait aussi des monuments superbes, et on l’appelle culture ; ça grossit et s’enflamme à la moindre alarme, et on l’appelle fanatisme ; fanatisme, au service d’une volonté hégémonique ou totalitaire ça se manipule comme de l’ammoniaque ou du bacille de charbon, et ça devient peste brune : ou, aujourd’hui, tantôt peste verte, tantôt apocalypse du Progrès, rétrovirus attaché à chacune des molécules de l’algue tueuse du libéralisme devenu fou.
Un jeudi soir de 2003 pourtant, oui, rappelez-vous, quelque chose s’était passé. On ne savait trop quoi. On retenait son souffle et on espérait. Oui, un barrage avait été posé. Seulement, on ne s’était pas avisé que ce barrage consacrait un recul, et simultanément le révélait.
Vous en auriez hurlé de rire, si les conséquences n’avaient été aussi prévisibles et tragiques : notre ministre qui, tout en vitupérant contre les influences étrangères sur notre islam national (mais à qui donc obéissent les catholiques, si ce n’est au pape polonais, argentin ou autre établi à Rome ? et les juifs ne sont-ils pas tournés vers Jérusalem ? depuis quand la Oumma, grande enveloppe et matrice des Croyants, a-t-elle vocation à se fragmenter en nations ?), sommait un musulman de Suisse de maintenir l’ordre parmi les musulmans de France !
Et si ces musulman(e)s décidaient de ne plus l’être ? Les renverrait-on à leurs imams, à charge pour ceux-ci de leur botter les fesses ? Vous étiez trop bon, Monsieur le Ministre d'alors, d’avoir relevé une suggestion de moratoire sur la lapidation des femmes pour souligner l’énormité de la loi religieuse concernée ! Mais quelles libertés l'état d'urgence lève-t-il en ce moment, sous l'autorité d'un de vos successeurs ?
Réagissons enfin et retrouvons notre âme ! Pour ne pas nous laisser voler notre liberté de conscience et d’adhésion, et simultanément ne manquer à aucune religion mais les connaître toutes, car elles le méritent bien, voici ce que je propose : au lieu de travailler les lundis de pentecôte, au bénéfice de la paix civile comme de l’intégration des chômeurs, réinventons la semaine des quatre jeudis !
Le principe en serait très simple : pour la nation entière, elle-même bannière de l’universel, mais à la seule enseigne de Pantagruel portant Gavroche sur son épaule pour affronter les eaux de l’Infâme, adopter, un jour par semaine, les insignes et les rites de chaque grande religion à tour de rôle. Par solidarité, ou par jeu, ou même par dérision, peu importe.
En voici un exemple pour ne pas rire :
· Le vendredi, tout le monde arborera voile, gandoura ou burnous, on psalmodiera la fâtiha du sommet des minarets, les femmes se rendront invisibles, on grignotera des gâteaux en buvant du thé à la menthe, et on lapidera sur les places des effigies de Satan ; au soir, on égorgera les moutons sur les pavés pour de grands méchouis, dans chaque quartier et dans chaque village.
· Le samedi, tout le monde portera kippa, étoile jaune, et cendres de la tête aux pieds ; les uns réciteront le Shema Israël, les autres, parcourant les rues, se lamenteront à grand bruit sur la ruine de Sion, et toute l’Université sera mobilisée, aux côtés des docteurs de la Loi, dans les cafés et tous les lieux publics, pour expliquer la Torah, les Prophètes et le Talmud. Les restaurants n’offriront que des repas casher.
· Le dimanche, les cloches sonneront à toute volée, on processionnera châsses, bannières et Vierges en chantant des Te Deum et rendant grâces pour le mal vaincu, le deuil surmonté, et la joie triomphante. On se parera de préférence des costumes et des coiffes traditionnels de la douce France, cher pays de notre enfance. Les restaurants serviront des menus sans restriction, et parmi les libations de Médoc l’on se gavera de boudin et de montagnes de crème fouettée. Partout, les jeunes s’affronteront dans des matchs et des joutes sportives, les plus âgés danseront au son du biniou et de l’accordéon.
· Cependant, quelques vastes places seront laissées libres pour servir de Déserts où ceux qui le désirent pourront venir méditer des Bibles en toutes langues et de toutes dimensions, et prendre la parole où et quand l’Esprit les saisira.
· Le lundi, le mardi et le mercredi, dès le point du jour tout le monde se rendra sur son lieu de travail ou de formation, en uniforme Mao. Il sera interdit d’être ou de laisser autrui sans emploi. Tout chômeur impénitent sera astreint à la fabrication de cierges, crucifix, kippas, burqas, bouddhas, bustes de Lénine et autres bondieuseries, chacun servant une religion qui ne soit pas la sienne.
· Le jeudi enfin, pour honorer Rabelais, Voltaire et le divin marquis, on ne fera ses dévotions qu’aux temples de la consommation, du luxe ou de la luxure, ainsi qu’aux dieux des stades et des médias. Et l’on formera de joyeux cortèges masqués pour crier À bas la calotte ! Les chrétiens aux lions ! Nous sommes tous des Français islamophobes ! Abraham prends ta femme et tire-toi ! Les bouddhas on s’en bat !
Et il ne sera interdit de conspuer la Marseillaise que pour encourager les plus hardis à la parodier gaiement, et les punir par des simulacres de guillotines où ruissellera le Coca-Cola.
Cependant les bonzes, les clercs (autrement dit les prêtres, imams, rabbins et les intellectuels), les médecins, les sportifs, les artistes et les adeptes de la méditation ou de la transe resteront dispensés, s’ils le désirent, de toute participation aux rites nationaux pour se consacrer à leurs arts et rites propres. Obligation sera faite à la collectivité de leur fournir sans compter tout ce dont ils pourront avoir besoin pour ces exercices indispensables, baumes pour les hommes, parfums suaves pour les Seigneurs, frissons ailés des anges sous le trou de l’0z0ne.