Nous savons déjà qu’en raison de la crise climatique le monde qui vient n’aura rien de comparable à celui où nous sommes encore, quoiqu'il existe de moins en moins. Nous devrions aussi savoir par expérience que devant une menace extrême la réaction la plus courante des humains est de se détourner du problème pour en soulever un autre, fabriqué de toutes pièces, et se précipiter à sa résolution fantasmée quel qu’en soit le coût, y compris le coût de l’évitement du premier. Les vainqueurs alors, s’il y en a, ou simplement les survivants se retrouvent hallucinés devant des montagnes de décombres…
La campagne électorale actuelle devrait permettre de regarder en face les réalités. Il n’en est rien, ou presque.
Le jeu de La Guerre de Troie n’aura pas lieu entre l’OTAN et la Russie et ses alliés paraît sur le point de provoquer des destructions et des mutations sans précédent sur la terre entière. Biden en brandit la menace : à son âge et après la perte d’un fils adulé, peut-être est-il déjà, lui réfugié dans un Autre Monde ? Selon le degré d’obscurcissement du ciel qui probablement résulterait d’un tel affrontement, la crise climatique changerait de visage, mais en pire, à supposer qu’un humain – pour ne pas dire un vertébré – y survive pour en juger : essayons cependant d’écarter cette perspective, et même ce paramètre, lourd d’incertitude, mais qui fonctionne aussi comme un miroir aux alouettes pour nous fasciner et nous détourner de malheurs plus certains. Du reste, si même une guerre nucléaire (guerre des étoiles?) était évitée, le bouleversement géopolitique est déjà en cours. L’une ou l’autre des grandes puissances ne fera sans doute qu’une bouchée de l’Europe et de ses possessions extérieures comprenant l’espace maritime environnant les îles — à commencer par le Groenland que Trump proposait d’acheter — ainsi que de ses anciennes chasses gardées africaines ou maritimes (le groupe russe Wagner n’est-il pas déjà à l’œuvre, au Mali, en Centrafrique… ? Bolloré ne vend-il pas déjà ses ports africains ?)
Cet épisode angoissant n’éteint en rien la litanie des menaces du climat : avec trop de raison on nous en rebat les oreilles, la mer monte, les ouragans, tempêtes et cyclones ravagent des régions entières, le plastique étouffe les océans, les ressources minières se font rares ou toujours plus difficilement accessibles (Aurore Stéphant sur les ressources minières : https://www.youtube.com/watch?v=xx3PsG2mr-Y), les pesticides tuent, les virus et bactéries nouveaux se multiplient, le vivant suffoque, la 5G déréalise toutes choses, et les solutions techniques, forcément toujours partielles, de la géo-ingénierie à l’industrie spatiale, ne font qu’ajouter au désordre en précipitant le désastre. Les appels à la sobriété sont inaudibles pour le plus grand nombre, on conspue les chantres de la décroissance.
Dans la touffeur des étés, à chaque catastrophe « naturelle », ou à chaque offensive de l’industrie alimentaire, à chaque recul des libertés, à chaque retour du masculinisme ou des spéculations sur l’or gris, je me remémore le film Soleil vert que j’avais vu à sa sortie, en 1973, l’époque où nous lisions Pierre Fournier dans La Gueule ouverte et pleurions sa mort précoce.
Mais qu’en disent nos candidats à la présidentielle, même quand ils brandissent la bannière de l’écologie ? Qu’il faut refouler les migrants, relancer la guerre des religions, et bannir les prénoms étrangers ? Que les agriculteurs doivent être soutenus sur la voie de la stérilisation des terres, du malheur animal et de la désertification des campagnes ? Que l’État doit se réduire progressivement à ses milices, abandonnant la santé, les écoles, la recherche, les territoires à la compétition privée ? Qu’il faut planter des arbres et passer à la voiture électrique, avec quelques EPR pour en permettre le fonctionnement, à défaut de suffire à sa fabrication ? L’incompétence flagrante de la plupart des impétrants laisse en outre présager un effacement rapide du pays sur la scène européenne et internationale. Je n’en vois qu’un qui aborde les vrais sujets avec le sens de l’urgence, une suffisante énergie, un bagout efficace et une conviction non feinte. Encore faudra-t-il compter avec la contagion d’un optimisme et d’une foi en l’humain que l’humain, hélas, dément tous les jours....
De toutes parts pourtant, les associations font entendre leurs doléances, et les scientifiques leurs avertissements. Les satellites qui « veillent » font de nous les spectateurs et témoins impuissants et stupides d’un effondrement certes non programmé, mais presque aussi certain que trop imaginable. Et nous nous hâtons de regarder ailleurs. En pleine tempête Eunice, la chaîne YouTube BIG JET TV a tenu en haleine ce vendredi durant plusieurs heures des millions de spectateurs pour leur montrer en direct et sans discontinuer les atterrissages d’avions luttant contre les rafales de vent à l’aéroport de Londres Heathrow : chaque fois qu’un appareil touchait la piste, le présentateur semblait au comble de la jubilation, à saluer les succès conjoints des pilotes et de la technique. Divertissement, disait Pascal… Les falaises qui dans le même temps s’effondrent, le littoral grignoté par les déferlantes sur toute la façade maritime de l’Europe du Nord, le grand public ne s’en inquiète que pour déplorer une poignée de victimes humaines immédiates. Et chacun pense, ne serait-ce que faute de pouvoir agir, qu’il sera toujours temps de se retrousser les manches plus tard, quand il sera trop tard !
Tant que nous n’étions que des humains en dispute, à discuter de mesures à prendre ou à ne pas prendre, l’horizon me paraissait pourtant infiniment moins incertain que depuis la crise diplomatique et militaire qui se prépare et pèse directement sur l’Europe et sur les « équilibres » mondiaux admis depuis la trompeuse fin de la Deuxième Guerre. Quelle idée d’ailleurs, me disais-je en 2014, en un temps où le dialogue restait éventuellement possible y compris en interne dans le bloc de l’Est, d’avoir prétendu arracher l’Ukraine à l’emprise de la Russie, qui voit en ce territoire une partie de son âme ! Et ne suffit-il pas aujourd’hui aux USA d’avoir de fond en comble dévasté le Proche-Orient ? Il n’y a pas de solution envisageable aux problèmes planétaires, politiques, sociaux, économiques, sanitaires, écologiques, si nous n’avons pas la liberté et le loisir, fût-ce dans l’urgence, de nous informer, de débattre et de nous organiser à tous les niveaux. C’est cette liberté si mal utilisée qui nous a été très récemment ôtée, par fautes humaines d’abord et à échelle nationale, avec les OPA sur les médias, la propagande et l’état d’urgence qui se pérennise et où surfe un Macron hors-sol. C’est cela qui nous deviendra inaccessible si se confirme, à petit feu ou en déflagration, la bataille des grandes puissances qui méditent de dépecer l’Europe avant même que les océans ne la submergent.