Ce samedi 2 juin, sur l'étroite route qui serpente vertigineusement vers le fond du Cirque de Navacelles, vous stationnez un moment la voiture dans un tournant pour jouir d'un point de vue sublime : un écrin paradisiaque tout au fond, verdure tendre, village médiéval juché sur un verrou glaciaire au centre, cascade écumante et blanche à l'endroit où le cirque s'ouvre sur un ravin. Quand soudain s'élève un vacarme de pétarades que vous attribuez d'abord à des motocyclistes enragés. Mais non, le vrombissement se précise et se rapproche, et vous assistez impuissant à un défilé assourdissant de voitures de luxe fonçant pleins gaz dans les lacets. La colère vous saisit devant ce saccage sonore d'un silence bourdonnant d'insectes et de la beauté d'un site inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.
Sur le plateau crayeux, à l'aller, vous vous étiez extasié devant la multitude frémissante de papillons blancs butinant d'un bord à l'autre de la route, et vous rouliez à 30 km/h pour les épargner. Au retour, la même route était constellée des étoiles blanches des papillons fauchés sans doute, entre-temps, par le même rallye.
Le lendemain, vous reprenez votre route buissonnière sur une petite départementale dont vous attendez qu'elle vous conduise en particulier à deux points de vue signalés sur la carte Michelin, du côté de Roquedur. Et voilà que vous croisez à nouveau – mais cette fois vous êtes vous aussi au volant – et évitez de justesse une demi-douzaine de ces mêmes bolides. Le paysage pourtant est superbe, la circulation par ailleurs aussi rare que sur la plupart des routes secondaires des Cévennes. Un moment, dans cette solitude, se montre un panneau annonçant que la route est fermée 2 km plus loin. Le petit chemin à gauche paraît ne conduire nulle part, vous supposez que c'est de cela qu'il s'agit, et vous allez de l'avant. Mais voilà que d'autres autos rutilantes à la file et à l'arrêt toutes portes ouvertes, environnées de pilotes casqués et bardés de gilets de protection, vous contraignent à stopper. Un personnage baptisé "commissaire" (c'est marqué dans son dos) vous intime avec impatience l'ordre de faire demi-tour, arguant que la route est interdite à la circulation, ce qui est absolument faux (il n'y avait vraiment rien d'autre que l'annonce tardive d'une route fermée). Vous protestez impuissant et vous faites en effet demi-tour...
Vous n'êtes sans doute pas seul à constater cette effarante mainmise sur des espaces naturels normalement ouverts à la circulation de tous. Voir par exemple (avec apparemment en effet, quand même, les autorisations réglementaires, rien cependant n'étant dit de la signalisation): https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/borre-quand-vice-champion-du-monde-rallye-wrc-fait-essais-routes-du-village-1498137.html
Et rappelez-vous que le Président Macron aime chasser. On se demande quand il sera encore possible aux citoyens ordinaires de se promener en sécurité dans les campagnes, et comment des bêtes pourront survivre. Voir http://www.chasseursducentre.fr/fdc37/pratique-de-la-chasse/dates-douverture-et-de-fermeture.html
Rappelons-nous enfin que nos côtes, longtemps protégées, viennent d'être livrées aux spéculateurs...
La France serait-elle désormais l'égale du Maroc: espaces publics réquisitionnés ou privatisés à tout va et sans prévenir la population, que l'on estime trop heureuse de pouvoir admirer le luxe des premiers non de cordée, mais de virée destructrice ?