Les réseaux sociaux, à travers le développement du flight tracking, (voir le compte Instagram L’avion de Bernard, particulièrement suivi) ont mis en exergue l’utilisation largement abusive de leurs jets privés par plusieurs personnalités publiques. Ces exemples concrets illustrent une tendance de fond : après avoir augmenté de près de 30% en Europe entre 2005 et 2019, les émissions de CO2 des jets privés ont continué leur essor en profitant de la crise sanitaire. Cette dynamique est guidée par deux acteurs principaux au niveau européen : La France et le Royaume-Uni. Cocorico.
Un épiphénomène ? Pas vraiment. En 2019 déjà, un vol sur dix au départ de la France a été effectué par un jet privé.
Pourtant, le jet privé est le champion des champions des pollueurs. En effet, alors que l’avion est déjà le mode de transport le plus émetteur de gaz à effet de serre (cf les résultats obtenus pour un trajet de 500km, en intégrant les traînées de condensation, avec le simulateur Ademe), un trajet en jet privé émet encore 10 fois plus de CO2 qu’un vol commercial. Alors quand on compare au train …

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Alors que le gouvernement appelle les françaises et les français à la sobriété, la tolérance dont bénéficient les jets privés témoigne d’une transition écologique à deux vitesses.
Bien sûr, tout le monde a un rôle à jouer pour réussir cette transition et des efforts à fournir. Mais tout le monde n’a pas la même capacité à agir, la même marge de progression et la même responsabilité. De fait, les contraintes économiques poussent déjà une large partie des françaises et des français à adopter des comportements sobres. Pour preuve, en France, les 10% les plus riches émettent en moyenne 5 fois plus de CO2 que les 50% les moins aisés. Et cet écart explose quand on réduit la focale aux 1% les plus riches parmi lesquels se situent les utilisateurs de jets privés. (Rapport sur les inégalités mondiales 2022, World Inequality Lab.)
Le secteur des transports représente en France 30% des émissions de CO2. Des millions de citoyens vont devoir faire évoluer leur façon de se déplacer dans les années à venir pour atténuer les conséquences du changement climatique. A quel titre les plus gros pollueurs bénéficieraient-ils d’un traitement exceptionnel ?
Réduire le trafic aérien et l’usage des jets privés ce n’est pas s’acharner sur quelques-uns, c’est au contraire lier la question de la transition écologique à celle de la justice sociale. C’est un prérequis indispensable.
Le mandat qu’Emmanuel Macron a donné à la Convention Citoyenne pour le Climat était de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. Parmi les 149 propositions qui ont émergé de ce processus démocratique, plusieurs concernaient spécifiquement l’aérien : renforcer la contribution kilométrique, interdire les lignes intérieures pour lesquelles il existe une alternative en train en moins de 4h, taxer davantage le carburant pour l’aviation de loisir … Un an plus tard, ces mesures n’ont pas été reprises ou vidées de leur substance.
En août 2021, l’article 145 de la loi Climat et Résilience interdit les lignes intérieures lorsqu’il existe une alternative en train en moins de 2h30...
…Sauf si “les services aériens assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance”.
… Sauf si les services aériens “peuvent être regardés comme assurant un transport aérien décarboné”.
… Et à condition que l’alternative en train assure un “service suffisant”.
L’ambition de cette mesure doit donc être largement rehaussée. Surtout, elle doit intégrer également les jets privés, qui ne sont aujourd’hui pas concernés ! Pourtant, un vol sur deux en jet privé au départ de la France est un trajet de moins de 500km, facilement réalisable en train.
La question de la régulation des jets privés pose une question plus fondamentale pour la transition écologique. Faut-il préserver à tout prix la liberté absolue d’une infime minorité au détriment de celle de l’immense majorité qui payera les conséquences du changement climatique ? Tout le monde doit être acteur de la transition, proportionnellement à ses moyens, et à son impact sur le climat. A ce titre, les plus riches ne peuvent pas faire exception. Ils ont même un rôle particulier à jouer.
Pierre Leflaive, Responsable Transports