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Billet de blog 7 décembre 2024

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Le génocide à Gaza : une psychiatre palestinienne témoigne

Ce qui suit est un texte, établi par Emmanuel Kosadinos, membre du réseau francophone pour la santé mentale en Palestine (FRPMHN). L'auteur y rend compte de l'intervention de la médecin psychiatre palestinienne, Dr Samah Jabr a une conférence qui eut lieu à Istanbul, le 24 novembre 2024 organisée par le Turkiye-Palestine Mental Health Network.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'expérience du traumatisme chez les Palestinien.ne.s est façonnée de manière unique par la violence continue qu'ils et elles subissent. Des concepts comme le PTSD (trouble de stress post-traumatique ou TSPT en français)  ne parviennent pas à saisir cette réalité, car il n'y a pas "d’après-coup" — aucun moment de répit ou de retour à un environnement sûr. Pour les Palestinien.ne.s, le traumatisme est un continuum ininterrompu. Au cœur de cette expérience se trouve l'humiliation persistante, une forme de traumatisme rarement reconnue dans le discours clinique dominant. Cette humiliation, ainsi que d'autres actes de violence, frappe l'identité collective des Palestinien.ne.s, affectant profondément non seulement les individus, mais aussi le tissu même de leur société.

La psychiatrie dominante est souvent complice de cette déshumanisation. Les étiquettes psychiatriques ont été instrumentalisées pour délégitimer la résistance, rappelant les pratiques coloniales qui pathologisaient les opprimés. Historiquement, la psychiatrie coloniale a servi d’outil de contrôle, comme en Algérie, où des théories pseudo-scientifiques étaient utilisées pour déshumaniser les populations autochtones. Aujourd'hui, des tactiques similaires sont appliquées en Palestine, où celles et ceux qui résistent sont souvent qualifié.e.s de mentalement instables. Les professionnel.le.s de la santé mentale doivent rejeter ces pratiques et se concentrer sur la reconnaissance et l’autonomisation, s’abstenant de pathologiser le traumatisme ou d’imposer un contrôle aux victimes.

La résilience dans le contexte palestinien va au-delà de la simple survie. Le concept de sumud incarne cette réponse active et tournée vers l’avenir face à l’oppression. Il ne s’agit pas de rebondir, mais d’avancer avec détermination. Pour le peuple palestinien, cela implique des actions individuelles et collectives variées, allant des initiatives créatives à l'organisation communautaire. Documenter les récits de souffrance et de résistance joue un rôle crucial dans la lutte contre les récits dominants qui cherchent à effacer leurs expériences. Les Palestinien.ne.s doivent « déterrer » leurs vérités cachées et les amplifier pour défier l’indifférence et le déni mondiaux.

Cette lutte a des implications plus larges. La normalisation de la violence contre le peuple palestinien et l’érosion du droit international reflètent un déclin moral global. Ces injustices résonnent au-delà de Gaza, mettant en lumière des parallèles avec d’autres contextes coloniaux où l’humanité a été niée et où la résistance a été pathologisée. Les parallèles sont frappants : la rhétorique génocidaire, comme celle qui qualifie les femmes palestiniennes de « menace démographique », précède souvent les actes de génocide. De même, des actes comme la construction de parkings sur des fosses communes datant de la Nakba (1948) révèlent un effort continu pour effacer l’histoire et l’identité palestiniennes.

Dans ce contexte, la santé mentale devient à la fois un champ de lutte et une forme de résistance. Avec l'effondrement du système de santé mentale palestinien dans les deux premières semaines d’intensification de la violence, des dizaines de milliers de personnes de la file active des patients du système public de soins en Palestine, notamment à Gaza, ont été laissées sans soins, soulignant le besoin de réseaux de soutien. Malgré ces défis, les Palestiniens continuent de s’appuyer sur des pratiques enracinées culturellement, comme la récitation de versets coraniques pour renforcer leur persévérance, et sur des initiatives collectives qui privilégient une guérison qui s'appuie sur les ressources disponibles dans la communauté. La douleur et la colère, perçues souvent dans la clinique psychiatrique dominante comme des symptômes à éliminer, sont analysées comme des réponses précieuses lorsqu'elles sont reliées à des valeurs sous-jacentes et à des actions significatives.

Les Palestiniens et Palestiniennes vivant à l'étranger subissent également un traumatisme, luttant contre la culpabilité du survivant, l'impuissance et une déconnexion de leur patrie. Soutenir ces individus nécessite de reconnaître leurs luttes et de les aider à transformer leur colère et leur désespoir en actions significatives. Cela met en évidence l’importance de la solidarité, non seulement à travers des manifestations dans les rues, mais aussi à travers des efforts de solidarité coordonnés par des organisations et des réseaux qui défendent les droits du peuple palestinien.

Le rôle de la génération de connaissance sur la réalité palestinienne ne saurait être surestimé. Samah Jabr a souligné à plusieurs reprises la nécessité de créer et de partager des connaissances sur la souffrance et la résistance palestiniennes. Les professionnels de la santé mentale, les journalistes et les militants doivent s'engager avec ces récits pour défier les discours dominants et favoriser une solidarité mondiale. En s'inspirant des expériences des communautés marginalisées et opprimées à travers le monde, les praticiens peuvent développer de nouveaux cadres pour aborder le traumatisme et la résistance, ancrés dans les réalités de ceux qu'ils servent.

Conclusion

L'intervention de Samah Jabr offre une analyse profonde du traumatisme, de la résilience et de la résistance du peuple palestinien. Elle appelle à rejeter les récits déshumanisants et à adopter des approches collectives et culturellement sensibles de guérison. Ce n’est pas seulement un impératif moral, mais aussi un impératif global, car l’érosion de l’humanité en Palestine résonne bien au-delà de ses frontières. En générant des connaissances, en amplifiant des vérités cachées et en favorisant la solidarité, les Palestinien.ne.s et leurs alliés peuvent résister à l’oppression et tracer des voies vers la guérison et la justice.

Emmanuel Kosadinos, membre FRPMHN

Pour visiter le site du Réseau Francophone de la santé mentale:  https://frpmhn.org

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Et pour nous contacter : frpmhn@gmail.com

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