Changfeng Mo au pied de l'avion :
A qui profite l'expulsion ?
Arrêté chez lui par la direction des renseignements (ex RG) dans le cadre de la lutte contre le travail illégal, Changfeng Mo est enfermé depuis 42 jours au Centre de Rétention Administrative (C.R.A.) de Vincennes. Lui et sa femme travaillaient dans la confection, dans leur petit appartement. Changfeng et Hongxia Mo n'avaient pas délibérément choisi de frauder. Sans papiers ni l'un ni l'autre, ils n'avaient d'autre solution que de travailler au noir pour un commanditaire : une fraude vitale, pour reprendre l'expression de Florence Weber[1]. Les machines à coudre ont été confisquées. Hongxia Mo et leurs deux jeunes enfants n'ont plus aucune ressource.
Changfeng Mo est arrivé en France en 2002, à l'âge de 18 ans. Il s'est marié en 2008 avec Hongxia, 30 ans et qui n'a pas de papiers non plus. Deux enfants sont nés assez rapidement, Félix en 2008, puis Soufia en 2010. Félix est scolarisé en petite section, dans une maternelle d'Aubervilliers. Le couple a toujours travaillé dans la confection, pour rembourser ses dettes (contractées auprès des passeurs pour quitter la Chine) et pour survivre. Changfeng Mo espérait, après 10 ans de présence en France, obtenir un titre de séjour pour enfin améliorer les conditions de vie de la famille, en sortant notamment du ghetto du travail illégal. Le couple rêvait de monter sa petite entreprise, avec des locaux dédiés à leur activité professionnelle et des registres de commerce bien tenus.
Aux confins de la ville d'Aubervilliers, la famille occupe un studio de 25 m2, dans un modeste pavillon d'une rue assez calme. Dans ce petit espace, les parents ont su aménager un coin dédié au travail, avec leurs deux machines à coudre, mais aussi un coin dédié aux enfants, protégé par un lourd rideau. Des conditions de vie peu faciles donc pour ce couple et ses jeunes enfants : les militants qui leur ont rendu visite ont été saisis par le dénuement de ces lieux. Qu'ont pensé ceux qui ont donné l'ordre d'arrêter Changfeng Mo et d'emporter les deux machines à coudre, plongeant ainsi la jeune femme et ses deux enfants dans une précarité encore plus grande ? Qu'ils participaient à une lutte impitoyable contre ceux qui détournent l'argent de l'Etat ? Qu'ils contribuaient à rétablir les droits du travail et des travailleurs, particulièrement malmenés en ces temps de crise ? Que la situation des Français dits de souche s'améliorerait quand une famille d'origine chinoise aurait été détruite ? Les policiers ont même emporté le contrat de location, pourtant parfaitement en règle. Hongxia Mo depuis, redoute d'être mise à la porte par son propriétaire, qui pourrait subir des pressions pour avoir loué à des sans papiers.
Hongxia Mo est catégorique : il leur est impossible de retourner vivre en Chine, surtout avec leurs deux enfants nés à Aubervilliers. Elle craint des problèmes de hukou[2], carnet de famille stipulant le lieu de résidence de tout citoyen chinois. Sans hukou, il lui serait même impossible de scolariser ou de faire soigner ses enfants. De plus, arrivés jeunes en France et depuis longtemps, elle et son conjoint n'ont plus de réseau social en Chine. Désespérée par l'arrestation de son mari, elle a dépensé les pauvres économies du ménage pour payer les avocats qui ont tenté de faire sortir Changfeng de rétention.
Le 28 décembre, Changfeng a subi une première tentative d'embarquement. Mais celle-ci a échoué : la préfecture, qui a reçu des centaines de fax, mails et coups de téléphone indignés dans l'après-midi, a changé d'avis au dernier moment. Monsieur Mo a alors été ramené de Roissy et de nouveau enfermé en centre de rétention. Tard le soir du lundi 2 janvier, la préfecture a confirmé qu'elle irait jusqu'au bout de la procédure d'expulsion. Le jeudi 5 janvier au matin, on a appris que Changfeng Mo serait mis dans un avion dans la soirée. A 17 heures du même jour, Changfeng a été hospitalisé en urgence, parce qu'il s'était « blessé ».
Le petit Félix a « fêté » son 3ème anniversaire le 15 décembre, sans son père. Soufia aura deux ans en février : avec une mère sans aucune ressource à Aubervilliers et un père en errance en Chine ? A qui profiteront la destruction de la famille Mo et la précarisation extrême des enfants et de leur mère ? Au lieu de détruire cette famille sans histoire, ne vaudrait-il pas mieux les régulariser, leur donnant ainsi les moyens de sortir de l'esclavagisme du travail illégal ?
Pour plus d'infos et pour demander la libération de Mr Mo :
http://www.educationsansfrontieres.org/article40351.html?id_rubrique=
Jianhua CAO et Annick VIGNES (RESF Paris)
[1] « Le travail au noir : une fraude parfois vitale ? » Florence Weber, éditions rue d'Ulm, 2008.
[2] Ce document administratif chinois, créé en 1958, est un outil de contrôle des flux migratoires : nul n'est supposé habiter ailleurs que ce que dicte son hukou. Ce système fait des 150 millions de migrants, des citoyens de seconde zone ; l'accès aux logements sociaux, école, santé, transports, supposent le bon hukou. Il divise les citoyens chinois en urbains et ruraux : en avoir ou pas. (source « Le Monde », 9 janvier 2008).