Samedi matin 5 avril, 10h30 : un œil sur les mails reçus depuis hier au soir. Une jolie nouvelle pour commencer la journée. M. QIU, un père chinois de deux tout petits enfants vient d’être libéré. Il aura fallu que, dans la soirée d’hier, de nombreuses personnes appellent sans relâche Matignon et la préfecture de police de Paris pour obtenir cela. Mais il aura aussi fallu attendre le dernier jour possible de sa période de rétention pour que M. QIU retrouve les siens. Quarante cinq jours d’emprisonnement et d’angoisse pour en arriver là !
Avec la libération jeudi soir de Khadjia Boudia, cette maman algérienne de trois enfants, dont deux qui n’ont qu’elle comme représentante légale, on se dit que la mobilisation, ça finit par payer. Les lycéens qui, cette semaine, ont battu le pavé à Marseille, Chalon sur Saône ou Saint-Nazaire pour protéger ceux des leurs que Valls et consorts veulent expulser, semblent le penser. Et visiblement, ils n’ont pas l’intention de rentrer tranquillement dans leurs classes avant que leurs copains ne soient sortis d’affaire.
11h30: deux libérations pour clore la semaine, donc, mais surtout des alertes urgentes : Romani Romoï, un jeune Géorgien de 24 ans en rétention à Metz depuis le 24 mars, en France depuis 2009 avec sa famille, qui n’a pu être expulsé cette semaine du fait de la grève des pilotes de la Lufthansa. Avec l’acharnement que met l’ex-ministre de l’intérieur et ci-devant premier ministre à s’en prendre aux demandeurs d’asile déboutés, le risque est grand que Romani soit très rapidement victime d’une nouvelle tentative d’expulsion. Ce ne sera jamais que la troisième (et peut-être hélas la bonne) depuis 2011 ! S’il doit partir, il laissera ici une mère malade et sans ressources.
Et puis, il y a Guillaume, un Camerounais en France depuis dix ans, futur marié et futur père d’enfant français, enfermé depuis le 26 février au centre de rétention (CRA) du Mesnil-Amelot. Guillaume, qui doit épouser le 26 avril Mariame la Française, enceinte de deux mois, Guillaume déjà victime d’une première tentative d’expulsion le 27 mars, le consulat du Cameroun lui ayant délivré un laissez-passer, au « nom des accords existant entre la France et le Cameroun ». Guillaume dont l’expulsion est affichée au Mesnil-Amelot. Ce sera dimanche 6 avril à 11h ... Echange de messages au sein du groupe RESF en charge des communiqués de presse et des alertes. Un premier communiqué sort : « La rétention, les expulsions, ça sert à quoi ? Pour faire plaisir à qui ? »
14h : un œil sur le site du réseau, pour les dernières nouvelles des collectifs départementaux. Hier soir, les militants du Gers, dans une pétition, ont affiché leur colère : « Non à l’expulsion de Gevorg ! » Ce père arménien de deux enfants, dont un bébé d’un mois, doit être expulsé aujourd’hui ... Il y a eu un rassemblement la veille au soir à Auch pour tenter d’infléchir la volonté d’un préfet qui, depuis la circulaire de Valls du 11 mars exigeant l’expulsion des demandeurs d’asile déboutés, s’en donne à cœur joie. A la lecture de la pétition et de l’article de la Dépêche relatant la manifestation, on touche le fonds : le préfet, après avoir assigné à résidence la famille de Gevorg pendant deux fois 45 jours dans un hôtel, a cessé de prendre en charge l’hébergement de la famille. Comme Gevorg a refusé d’être mis à la rue avec son bébé de quelques jours, sa petite fille de deux ans et sa compagne. Jean-Marc Sabathe, le préfet du Gers, a immédiatement pris une mesure qui fait honneur à son humanité et à son altruisme : arrêté pour grivèlerie ( !), Gevorg est enfermé au centre de rétention de Cornebarrieu, à côté de Toulouse. Il en a été extrait pour être expulsé. Il a subi une première tentative d’expulsion et a refusé d’embarquer.
On apprend que Gevorg est déjà dans l’avion pour l’Arménie. En urgence, un appel à campagne de coups de téléphone à Matignon est lancé sur la liste de diffusion du réseau. A l'Elysée, un correspondant poli, méprisant et ignorant raccroche en indiquant qu'il faut s'adresser aux Affaires Etrangères. Ce qui est une ânerie. A croire que l'incompétence est la chose la mieux partagée en ces lieux ! A l'Intérieur, Thomas Andrieu, le directeur-adjoint du cabinet de Valls qui, depuis deux ans a ordonné très courtoisement tant d'actes odieux, est sur le départ. Raphaël Sodini, le conseiller immigration qui ne vaut pas mieux, est apparemmenten week-end. Mais même pendant la débâcle, les déménagements et les repos dominicaux, le démembrement des familles continue. On est énarque, magistrat, bien élevé, on manie une langue châtiée. Mais on n'hésite pas, dans l'intérêt de sa carrière et de celle de son ministre, à laisser une mère seule avec un nourrisson et une toute petite fille et à renvoyer dans un pays qu’il a fui un jeune homme qui, au vu de son âge et de sa date d’arrivée en France, n’a probablement pas accompli son service militaire dans son pays (fait passible de prison et d’envoi sur une zone conflictuelle): Gevorg appellera plus tard depuis Erevan. Il a été arrêté par la police à son arrivée en Arménie ...
21h : Guillaume, justement... pas un de plus... pas encore une famille démembrée! « Ils » n’oseront pas ! Pas facile, une mobilisation un week-end. Pas simple d’appeler à se rendre nombreux à Roissy demain pour informer les passagers du vol pour Douala qu’un voyageur forcé a pris place sous la contrainte parmi eux. Reste un nouvel appel à une campagne de coups de téléphone aux cabinets des expulseurs, à Beauvau, mais surtout à Matignon et à l’Elysée ... Un RESF info alertant de l’urgence de la situation est envoyé.
Dimanche 6 avril : Armelle, Gérard, Yves et Mariame, la compagne de Guillaume, sont à Roissy. Malheureuse Mariame ! Ils distribuent des tracts aux passagers pour Douala et expliquent, expliquent encore ... Plusieurs voyageurs ont noté les numéros de téléphone des uns et des autres pour appeler s’il se passe quelque chose. L’avion est prévu pour un décollage à 11h.
11h32 : Le panneau d’affichage affiche la fin de l’embarquement, mais l’appareil n’a toujours pas décollé. Mais rien ne filtre du côté des passagers.
11h38 : L’avion s’est envolé. Guillaume aussi, la police aux frontières vient de le confirmer ... Mariame reste désormais seule, avec Mattéo qui, à son retour, lui demandera une fois de plus où est Guillaume qui, jusqu’à présent, lui servait de père. Comment expliquer une telle saloperie à un enfant quand on est soi-même démolie ?
A défaut d’autres résultats, l’ex-ministre de l’intérieur a au moins réussi une chose : l’industrialisation des expulsions et du démantèlement des familles. Et les semaines qui s’annoncent, s’il n’y a pas une réaction d’ampleur de citoyen-nes révoltés et d’élus (gens du PS, où êtes-vous ? Vous qui nous accompagniez du temps des expulsions sarkozystes) iront crescendo dans l’institutionnalisation de ces malfaisances.
Monsieur Cazeneuve, ce week-end est-il le signal du changement et de l’apaisement que vous souhaitiez envoyer ? Vos fonctions à Beauvau débutent en effet sous les meilleurs auspices : un week-end de salopards et de saloperies !
Nathalie Fessol