Dimanche 30 septembre. 1 h30 du matin. Mohamed et Bahora Khoja, Daniel, 3 ans ½ et Madina, 5 mois, ont été sortis du CRA du Mesnil Amelot et conduits sous bonne escorte dans un hôtel des environs, à Noisiel (77). Libérés, conformément aux engagements pris par F. Hollande qu’il n’y ait plus d’enfants en rétention ? Enfermés à nouveau, conformément à la circulaire de Manuel Valls du 6 juillet, qui prévoit que seront effectivement enfermés ceux dont les parents se seraient soustraits à l’obligation qui leur est faite de quitter le territoire français.
Autrement dit, reste susceptible d’être enfermé, tout étranger qui ayant un jour quitté son pays pour construire un avenir meilleur dans un autre pays, engage toutes ses forces et celles de sa famille pour rester dans ce pays. Mohamed et Bahora sont demandeurs d’asile. Ou plus exactement ils essaient désespérément de déposer une demande d’asile. Mohamed est âgé de 33 ans, Bahora 24 ans. Il était mécanicien de bus et camions. Ils ont fui plusieurs fois Logar, leur ville natale au sud de Kaboul, où se succèdent bombardements de l’OTAN et attentats talibans. Daniel, 3 ans et demi, leur fils, n’a connu que ça, la guerre, les bombardements puis l’errance. Tous les trois ont réussi à partir pour de bon à la fin de 2011, ils ont marché des mois, traversé le Pakistan, l’Iran, la Turquie. Ilsont atteint l’Europe par la Grèce, où ils ont été interpelés, et laissé leurs empreintes, puis ont traversé la Serbie, sont arrivés en Hongrie. Nouveau contrôle, seconde prise d’empreintes, deux fois fichés sur Euro dac, la base de données communautaire qui stocke les empreintes digitales des demandeurs d’asile. Ils ont rapidement quitté la Hongrie, un pays où les demandeurs d’asile sont si mal traités que l’UNHCR s’en est très officiellement inquiété. Bahora était enceinte, ils ont pu rejoindre en France la ville du Mans, où vivent quelques familles d’afghans. Madina est née en avril. La famille n’a qu’un désir, se poser enfin, s’installer. Mais pas d’asile pour la famille Khoja, repartez ailleurs ! Assigné à résidence, le père manque un contrôle. Et tombe le couperet des dispositions prévues par la circulaire Valls: le 28 septembre, vers 16 heures, parents et enfants sont cueillis pour être amenés au CRA du Mesnil Amelot en prévision d’une expulsion express prévue lundi 1er octobre, à 7 heures du matin pourla Hongrie. L’enfermement de ces deux très jeunes enfants choque, on mobilise activement au Mans, enSeine et Marne et aux alentours. Quelques heures plus tard et beaucoup d’énergies conjointes, parce qu’il a été reconnu que la place des enfants n’est pas en rétention, ils sont sortis du CRA, et assignés à résidence. Libres pour attendre le vol qui doit les expulser le lendemain ? Non. Dans les faits, à l’hôtel, la famille est confinée dans sa chambre, interdiction d’en sortir même pour les enfants, visites interdites, deux policiers devant la porte et plusieurs autres à l’entrée de l’établissement, l’installation d’une zone de rétention sans grilles et sans murs. Le vol d’expulsion étant prévu quelques heures plus tard, ils s’attendent à être embarqués par la PAF dès 4 heures du matin. Soutenus cependant par leur avocat, présent, et avec l’aide à distance de l’interprète afghan, qui traduit les échanges au téléphone
Du dimanche au lundi matin, la nuit sera très longue. Une trentaine de militants s’est rassemblée devant l’hôtel, au grand dam de la police visiblement prise de court. LDH, MRAP, RESF, Turbulences 77, Observatoire de l’enfermement 77, CGT, FSU, Sud Education, et d’autres organisations et syndicats sont représentés. Des élus locaux, et Augustin Legrand conseiller régional IdF sont également présents. La police prend note. Et interdit toute entrée dans l’hôtel à qui n’est pas client. Qui veut pénétrer devra décliner son identité, présenter ses papiers, le tout dûment enregistré par la police.
Appelé heure par heure, le ministère de l’intérieur, droit dans ses bottes, campe sur sa décision.
Minuit. La réponse du Défenseur des Droits, déjà intervenu pour la sortie du CRA, arrive : il confirme que cette forme de rétention est bien en accord avec les dispositions de l’arrêt Popov (autrement dit, pas de rétention en CRA, mais assignation à résidence, oui). Il demande cependant à être tenu au courant, et continuera à intervenir.
Une heure du matin : une ambulance transporte Bahora et la petite Madina à l’hôpital de Lagny, après qu’un médecin ait insisté pour que Bahora y subisse des examens médicaux. Elle y sera brièvement examinée, et ramenée sans ménagement à l’hôtel deux heures plus tard.
4 h 30 La famille est prévenue qu’elle doit se préparer. La tension est palpable, aucune lumière n’est visible à leur fenêtre. Lorsqu’arrive le fourgon de la PAF, trois quarts d’heure plus tard, on s’attend au pire, et chacun revoit les images de la nuit, Bahora transportée deux heures plus tôt avec son bébé dans les bras, Mohamed et Daniel, à la fenêtre de la chambre, et le visage en pleurs de Mohamed. De très longues minutes sans lumière, ni bruit. Augustin Legrand, autorisé en tant que Conseiller régional à rester à l’intérieur de l’hôtel, ne signale aucun mouvement. Il parait de moins en moins probable que la PAF soit en mesure de les embarquer pour l’avion de Budapest de 7 h 05. Un gradé et deux policiers sortent soudain, et font de grands gestes montrant la chambre de la famille. Vont-ils les sortir par là ?
5 h 45, la nouvelle fuse : la famille s’est enfermée dans la chambre, la PAF n’a aucun moyen d’ouvrir la porte, sauf à décider de la défoncer et d’entrer en force.
Vu l’heure, il est trop tard pour une solution de rechange .Très vite on apprend qu’une nouvelle assignation à résidence est prononcée pour 24 heures. Un répit fragile, dont on sait qu’il ne met à aucun moment la famille à l’abri d’une nouvelle tentative d’expulsion. Le relai des militants s’organise alors pour la journée à venir
Les audiences, dont notamment celle du Tribunal administratif annulant le mardi 2 octobre les placements en rétention jugés contraires aux droits de l'enfant (Convention de New York), et décisions vont alors se succéder en prolongeant l’assignation à résidence de 30 jours et en déplaçant la famille à Montereau, au sud de laSeine et Marne, où la solidarité se met aussi en place ; car loin du Mans, ils n’ont rien : ni argent, ni nourriture, le pointage quotidien imposé au commissariat ne peut se faire qu’en bus payant, il n’y en a pas en fin de semaine. Tout était fait pour les mettre en faute...Etrangement, qu’il s’agisse de revenir de l’hôpital ou de se rendre à Montereau, la police délègue à la solidarité et aux associations le transport de la famille.
Des bonnes volontés se font connaitre pour servir d’interprètes en dari, la langue que parlent Mohamed et Bahora. Nouvelle victoire le vendredi au tribunal administratif, ils sont libérés du pointage, mais pas de l’assignation à résidence. Les interventions continuent d’affluer au cabinet de Manuel Valls : les écrivains Atiq Rahimi et Dan Franck, le cinéaste Romain Goupil, les présidents de la LDH et de la Cimade. Des élus notamment de Seine-et-Marne, des Hauts-de-Seine, de la Sarthe et de la Région Pays de la Loire se joignent aux protestations et interviennent auprès des responsables politiques. Les conseillers régionaux EELV d’Ile de France prévoient de parrainer les enfants le 8 octobre.
Samedi 6 octobre, au terme d’une semaine d’angoisse pour la famille, le ministère de l’Intérieur fait savoir à la Cimade que les parents sont autorisés à déposer leur demande d’asile en France bénéficiant donc du statut de demandeurs d’asile.
C’est un énorme soulagement et une vraie victoire. La victoire du bon droit, de ce qui est juste, contre ce qui n’est que légal. A la revendication légitime (la preuve !) que les Khoja puissent demander l’asile en France, les préfectures répondaient, sur instruction du ministère de l’Intérieur, par la « légalité » en feignant d'ignorer qu'ils en avaient le pouvoir (article 53.1 de la Constitution). Avec la mobilisation, le sens de la justice, l’a emporté sur une application intransigeante de lois, de textes et de procédures mises en place par Sarkozy et que de façon incompréhensible, un ministre de gauche s’acharne à exécuter de façon rigoriste.
Mohamed et Bahora,Daniel et Medina, bienvenue chez nous, vous pouvez poser vos valises. Enfin !
Armelle Gardien RESF