Après cinq années de présence à Lyon pendant lesquelles ils ont scolarisé assidûment leurs deux enfants Mariam et Atar, Nane et Amo Mamoï ont enfin obtenu un titre de séjour « vie privée et familiale » d'un an.
Plusieurs articles publiés sur ce blog ont relaté les épisodes les plus dramatiques et les plus rocambolesques de la famille Mamoï. Obligés de quitter l'Azerbaïdjan sous les bombes, puis l'Ukraine, puis la Russie, Nane et Amo ont subi en France le même sort que tant de personnes sans papiers : échec de la demande d'asile, obligation de quitter le territoire, des semaines à dormir dans la rue, transfert (avec les enfants) au centre de rétention de Lyon Saint Exupéry alors même que la Préfecture avait été mise devant son obligation d'hébergement à l'occasion d'un jugement en référé. Sur demande de la préfecture, Nane et Amo se sont même présentés à l'ambassade d'Azerbaïdjan, la peur au ventre, pour envisager leur propre expulsion. Rien n'y a fait : la famille était inexpulsable. Si bien que depuis plus de trois ans, elle est hébergée aux frais de la préfecture.
La volonté de toute la famille pour s'intégrer est impressionnante. Amo multiplie les jobs et parle admirablement le français. En arrivant en France, Nane ne parlait pas un mot de français. Elle le parle aujourd'hui parfaitement. Elle travaille comme bénévole à la Croix-Rouge. Un été, elle avait eu le courage de se rendre à l'université du PS à la Rochelle pour témoigner de sa situation. Mariam a intégré le conservatoire en danse jazz et finit déjà sa quatrième année. Atar chante avec sa mère dans une chorale.
Régularisation : ce mot magique, que Nane et Amo n'osaient même pas prononcer, n'osaient même pas intégrer à leur vocabulaire, n'osaient même pas invoquer. Ce mot magique déclenche aujourd'hui la joie, le soulagement, peut-être même la fierté après une lutte acharnée menée par eux de façon si lucide, honnête et intelligente.
Nous allons festoyer. Certes. Mais derrière la joie, ne faut-il pas garder une place pour l'amertume et la révolte face à une politique qui admet elle-même son absurdité ? En accordant cette régularisation, la préfecture n'admet-elle pas ironiquement qu'elle avait tort de ne pas l'accorder plus tôt ? Si la France estime que Nane, Amo, Mariam et Atar sont dignes de vivre en France, pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi pas hier, avant-hier ou il y a trois ans, quand elle savait déjà qu'ils n'avaient nulle part où aller ? Fallait-il donc qu'ils la gagnent, cette dignité ? Et si oui, quel est ce système qui a organisé sciemment, pour qu'ils la gagnent, ce parcours du combattant semé de menace, de peur, de douleur et d'humiliation ? Quel nom faut-il lui donner ? Peut-on invoquer des arguments économiques pour le justifier, alors qu'avec un titre de séjour et un droit de travail, Nane et Amo auraient pu depuis plusieurs années toucher un salaire, contribuer à l'impôt, éviter les procédures coûteuses et surtout payer eux-même un loyer, faisant faire ainsi à la collectivité de conséquentes économies ?
De nombreuses associations comme le Réseau Education Sans Frontières se battent pour la régularisation des personnes sans papiers. Mais n'oublions pas qu'elles souhaiteraient avant tout que cesse de tourner la fabrique de sans-papiers. Elles se battent pour que notre pays s'interroge vraiment sur sa politique d'immigration absurde qui fait vivre à tant de femmes, d'hommes et d'enfants des années de souffrance.
Cette politique est inhumaine, inutile et infiniment triste. Mais aujourd'hui, au royaume de l'absurdité, ne taisons pas notre joie en solidarité avec la famille Mamoï.
Martin Galmiche (RESF Lyon), 10 avril 2016