Le terrible compte à rebours du demandeur d'asile mineur isolé placé en zone d'attente.
Soit une jeune femme de 16 ans qui arrive en France depuis le Congo (RDC) avec un passeport d'emprunt sur lequel elle apparaît majeure. Elle a transité par la Turquie, elle arrive à l'aéroport de Lyon Saint Exupéry. Au contrôle aux frontières, l'officier de police judiciaire ne se laisse pas abuser et la demoiselle se voit opposer un refus d'entrée sur le territoire français et notifier un placement en zone d'attente pour 4 jours. La jeune femme expose alors être en réalité mineure, se nommer autrement, et vouloir déposer une demande d'asile en France car sa mère a été tuée sous ses yeux par les miliciens du M23 à la fin du mois de novembre au Congo, et elle expose avoir fait l'objet de violences physiques intimes très graves de la part de deux de ces miliciens. Son corps est couvert d'ecchymoses, elle est très émue à l'évocation des derniers jours qu'elle a vécues au Congo et qui ont précédé sa fuite. Un administrateur ad hoc est désigné.
La jeune femme est entendue par les services de police. La jeune femme est soumise à une expertise osseuse demandée par l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) et soumise à un examen gynécologique, ces deux examens étant pratiqués hors la zone d'attente, avec conduite sous escorte. A aucun moment les officiers de police judiciaire n'ont cru bon d'avertir le Procureur de la République qu'ils faisaient pratiquer ces examens. Ils ont entendu la jeune femme pendant quarante minutes en évoquant avec elle le fond de sa demande d'asile, alors qu'ils ne sont pas l'autorité compétente pour ce faire, l'examen de la demande d'asile relevant de l'OFPRA. Le Juge des libertés et de la détention ne voit aucune difficulté à prolonger pour huit jours le maintien en zone d'attente. La Cour d'appel confirmera cette décision considérant qu'à son entrée elle était majeure et que l'excuse de la minorité n'entre pas en ligne de compte.
Pendant ce temps, le pré-examen de la demande d'asile de la jeune femme prospère. L'OFPRA téléphone à la jeune femme et s'entretient avec elle pendant quinze minutes seulement pour rendre un avis négatif sur sa situation, estimant que "c'est sans la moindre émotion qu'elle décrit les circonstances dans lesquelles elle prétend avoir perdu sa mère il y a dix jours, tuée sous ses yeux par des soldats". L'OFPRA constate après cet entretien expéditif au téléphone, sans contact physique ou visuel avec la jeune femme qui n'était déjà pas dans un rapport de confiance, que "l'ensemble de ces éléments ne permet pas de faire ressortir un vécu personnalisé". L'OFPRA - établissement public indépendant en théorie - doit éclairer le Ministre de l'intérieur afin que ce dernier se prononce sur le caractère manifestement infondé ou non de la demande d'asile de l'impétrant(e).
Suite à cet avis, le Ministre de l'Intérieur prend une décision de refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile qu'il oppose à la jeune femme. Six jours se sont écoulés, que la jeune femme a passés en zone d'attente sans accès aux informations, sans vêtements de rechange, sans compagnie, sans distraction, avec comme seule nourriture des plateaux repas, entourée d'officiers de police judiciaire. Cette décision est contestée devant le Tribunal Administratif de Paris qui saisit le Conseil d'Etat lequel renvoie sur le Tribunal Administratif de Lyon. Mais le juge du Tribunal Administratif de Lyon confirme la décision du Ministre de l'Intérieur. Malgré une audience d'une heure, au cours de laquelle le Juge n'aura pas questionné la jeune femme sur son récit, et après avoir choisi de prolonger le délibéré d'une journée afin de rendre une décision éclairée. Le Tribunal Administratif confirme la décision du Ministre.
Nous sommes le 7 décembre, il est 14H30, un vol semble être prévu pour la jeune femme à 17H30, pour la ré-acheminer en Turquie. Elle ne s'est vu remettre aucun routing. Elle est informée oralement par les officiers de police judiciaire de ce qui l'attend. Personne n'a d'information officielle sur ce qui est prévu exactement. La jeune femme s'est vu notifier le sens de la décision mais elle n'a pas en main les motifs exacts de la décision du Tribunal, elle ne sait pas pourquoi le juge a confirmé cette décision. Son recours n'est donc pas effectif car si le renvoi ne doit pas avoir lieu avant que le Tribunal ne se prononce, il a eu lieu avant qu'elle ait connaissance de la décision du Tribunal Administratif.
Pour faire obstacle au renvoi de cette jeune femme, la CEDH (Cour Européenne des Droits de l'Homme) est immédiatement saisie, le 7 décembre 2012 à 15H40, d'une requête sur article 39 du règlement, mesures provisoires que la Cour peut ordonner aux Etats lorsqu'il semble qu'ils violent des dispositions dela Cour. La CEDHordonne immédiatement aux autorités françaises de suspendre l'éloignement forcé de le jeune femme. Elle indique au Gouvernement français "de ne pas expulser la requérante versla République Démocratiquedu Congo".
Mais les autorités ont été très efficaces et la jeune femme est dans l'avion au moment même où son entourage apprend que l'affaire est gagnée grâce à la Cour européenne.
A ce jour, elle est à Kinshasa, de nouveau retenue dans un commissariat. Son avocat intentera une action en responsabilité contre l'Etat français et demandera qu'un visa de régularisation lui soit délivré. Mais combien de mois encore pour obtenir gain de cause ?
La zone d'attente est une zone de non droit. A Lyon il n'y a pas de permanence d'avocats, pas de permanence d'association constamment sur place. Cette mineure étrangère isolée y est demeurée seule, entouré d'officiers de police judiciaire qui l'ont traitée de façon hostile, ajoutant à la tension, à sa peur, à sa vulnérabilité. Cette jeune femme n'était poursuivie pour aucun délit.
Céline Amar