Emile Zola, Marie Curie, Uderzo et Goscinny ont bien failli ne jamais être français. Sarkozy lui-même… Manuel Valls, naturalisé à 20 ans, veut stopper la baisse des naturalisations voulue par Sarkozy et Guéant, et annonce pour les prochains jours une circulaire pour "redonner la totale possibilité d'être Français" et mettre fin à ce qu'il compare à "un parcours du combattant".
Les témoignage et récits ci-dessous disent amplement l’urgence qu’il y a pour l’administration à changer ses pratiques et à regarder l’acquisition de la nationalité pour ce qu’elle est, le résultat d’une vie installée, la demande d’une reconnaissance.
Le trou de la serrure
Nous souhaitons témoigner, ma femme et moi, de la façon dont s’est déroulée la « visite surprise » de la police à notre domicile, pour constater que nous vivions bien ensemble.
Nous sommes mariés depuis 5 ans, nous avons deux enfants de 9 et 4 ans, et menons une vie commune depuis bientôt 10 ans.
Ma femme est Ivoirienne et est arrivée en France en 1999 pour poursuivre ses études. Depuis ce temps, elle a une carte de séjour qu’elle renouvelle régulièrement. Elle souhaite obtenir la nationalité française et c’est dans cet objectif qu’elle a entrepris les démarches nécessaires à la naturalisation.
Elle est aujourd’hui comptable dans une entreprise immobilière.
Nous avons été convoqués à la préfecture, y sommes restés tous les deux une après-midi entière, puis nouvelle convocation au commissariat, et avons répondu aux questions, quelquefois pièges, montré des photos de notre mariage, pour prouver que nous vivions ensemble. J’avais déjà été fort surpris que l’on me demande de fournir une photo en train de signer à la mairie, comme si les registres d’état civil n’étaient pas en soi, suffisants ?
Nous avons fait tout cela avec bonne volonté. Nous nous sommes pliés à ces différents interrogatoires car nous sommes vraiment motivés par l’obtention de cette naturalisation. C’est important pour ma femme bien sûr mais aussi pour nos enfants, et moi même.
Nous étions avertis que la dernière épreuve serait une visite de la police à notre domicile.
Deux officiers de police (un homme et une femme) ont sonné à 7h 55 un matin, quelques jours après la convocation au commissariat, c’était début juillet. Je dormais encore et ma femme se douchait. Nos enfants dormaient aussi dans leur chambre.
Le temps que j’ouvre (une à deux minutes plus tard), ils sonnaient à nouveau et ont montré tout de suite leur impatience. « Heureusement que votre sonnette fonctionne » avec un sous-entendu plutôt menaçant…
La femme policière s’est dirigée directement dans la cuisine. Elle a commencé à y ouvrir des tiroirs. La façon dont cette fouille se déroulait me choquait fortement. J’ai manifesté mon mécontentement, notamment en demandant au policier ce qu’il faisait ainsi ? et pourquoi ils ouvraient les tiroirs ?
La femme me demande alors de me calmer, faute de quoi elle contestera la réalité de la vie commune. Je n’avais rien fait de plus que hausser la voix, en réaction à la façon d’agir du policier, que j’ai vécue comme méprisante et irrespectueuse vis à vis de nous. Deuxième menace, ouverte cette fois.
Resté seul avec le policier, je lui dis que je trouve le parcours pour obtenir la naturalisation pénible et long, et il me répond « Vous savez Monsieur que pour beaucoup, ce parcours ne l’est encore pas assez ».
Pendant ce temps, la policière s’est rendue dans la salle de bain avec ma femme, ouvrant là aussi les tiroirs. Mon épouse m’a ensuite rapporté ce qui s’était passé pour elle. A savoir : la policière, entendant mon ton de voix toujours scandalisé, a dit à nouveau à ma femme :
- « Dites à votre mari de se calmer. S’il ne se calme pas, je ne constaterai pas la vie commune…
Ce qui est à la fois paradoxal (comment me nommer « mari » tout en sous entendant que je ne le suis pas), et de plus cette phrase révélait un chantage inadmissible.
Bien sûr, comme ma femme est seul témoin de cet échange, et au vu de la façon dont cela se passe, je doute que sa parole puisse être de quelque poids...
Ma femme a alors répondu : « Vous, vous pouvez écrire ce que vous voulez dans votre rapport. Mais mon mari, lui, a le droit de dire ce qu’il pense. »
Pendant ce temps, le policier me prend à partie sur la nouvelle loi concernant les immigrés clandestins, qui interdit la garde à vue à ces derniers en cas de contrôle. Je l’interromps à nouveau très surpris et choqué, pour lui signifier que cela n’a rien à voir avec notre situation.
Ce que je veux dénoncer ici avec force c’est que, autant nous sommes prêts malgré ce que cela peut nous en coûter, à nous conformer à ce qu’exige la loi, autant la forme du procédé, que j’assimile à une « perquisition » ne peut être acceptable, ni donc accepté.
Eric Noé. Colombes le 20/7/12
Protéger vos enfants en France, Madame, vous n’en aviez pas le droit
Madame T., jeune veuve avec trois fillettes, quitte son pays en guerre fin 1999, à la suite de l'assassinat de son mari et pour échapper aux menaces qui pèsent aussi sur elle. Elle laisse ses fillettes en garde à sa soeur, qui a elle-même quatre enfants. En 2001, suite à l'assassinat de L.-D. Kabila, sa soeur est à son tour en danger. On envoie les fillettes chez leur grand-père. Le grand-père meurt peu après. Des voisins aident alors à faire venir en France les fillettes. Elles ont alors entre 5 et 11 ans. La mère les scolarise immédiatement, est régularisée en mai 2003 à cause de la présence de ses enfants et signe un CDI avec un employeur pour qui elle travaille toujours en 2012.
En 2009 elle atteint enfin les conditions de durée de séjour régulier, de revenus et de logement qui lui ouvrent la possibilité de la naturalisation; ses trois filles sont encore mineures. Elle dépose donc une demande. Réponse: ajournement à deux ans, au motif que vous avez fait venir en France vos trois filles en dehors du regroupement familial. Oui, c'était une action illégale ("aide au séjour irrégulier", dit la loi): quand elle a dû choisir entre sa responsabilité de mère envers ses enfants sans soutien au pays et la loi française, il est vrai qu'elle a agi à l'encontre de la loi. Elle ne conteste pas la décision.
Deux ans plus tard, les deux ainées sont devenues majeures. La première a été naturalisée, pour la seconde, c'est en cours. Madame T. redépose une demande en 2011. Nouveau refus, même ajournement, même motif, mais on ne mentionne cette fois que la petite dernière, la seule qui soit encore mineure!
Cela veut-il dire qu'une fois que cette dernière aura passé 18 ans, on ne reprochera plus à sa mère ces trois entrées illégales ? Quelle autre logique à ces réponses qu'un sadisme froid ?
Vous parlez ? J’en suis fort aise. Eh bien payez maintenant !
Viviane est Haitienne, évidemment francophone, et vit en France depuis dix ans. En 2008, elle est régularisée et comme il se doit, se soumet aux formalités exigées, parmi lesquelles la vérification de son niveau de langue française. Constatant que Viviane est parfaitement francophone, l’OFII la dispense de suivre la formation au DELF, et lui remet une attestation certifiant son niveau et la dispense de cours. En 2012, Viviane engage une démarche pour l’acquisition de la nationalité française : elle vit ici, elle est mère d’enfant français, elle travaille dans ce pays, et n’a jamais causé le moindre trouble à l’ordre public. Le dépôt de son dossier est alors refusé à la sous-préfecture d’Antony, au motif qu’elle ne justifie pas de la possession du DELF. Sa dispense délivrée par l’OFII ne la dispense de rien ! La sous préfecture exige pour prendre le dossier que Viviane s’inscrive dans une formation qui en fonction de ses résultats lui délivrera le fameux DELF. Coût de la formation : 200 €. Et prochain rendez vous en préfecture pour le dépôt du dossier, le 20 décembre. Selon que vous soyez gaulois ou pas encore, l’argent et le temps n’ont décidemment pas la même valeur…
Pour l’un ça marche, pour l’autre pas
Cinq ans après leur père, trois ans après leur mère, les jumeauxChen arrivent à Paris en 2003 à l’âge de 15 ans. Scolarisés dès leur arrivée, ils passent le bac en juin 2009. Même parcours, ils ont toujours été dans la même classe.
L’ère Sarkozy est dangereuse, la famille fait face à 5 arrestations en deux ans (2007-2008), à chaque fois la mobilisation a permis de les sortir. Ont été arrêtés : la sœur, 2 fois le père et deux fois l’un des jumeaux. Suite à une grosse mobilisation, toute la famille (les 5 !) est régularisée en même temps en février 2009.
En 2011, les jumeaux désirant créer une entreprise, demandent la naturalisation française. Réponse rapide : positive pour l’un, négative pour l’autre !
La raison est la suivante :
- l’un des jumeaux n’a, pour l’administration, jamais été en situation irrégulière puisqu’il n’a jamais eu de refus de séjour. Or il n’a été régularisé qu’à l’âge de 21 ans… Lui obtient la naturalisation.
- l’autre, ayant été arrêté 2 fois (à la sortie du lycée !) a eu un APRF (arrêté de reconduite à la frontière), a même fait quelques jours de rétention, n’obtient pas la naturalisation pour cette raison : il s’est maintenu sur le territoire alors qu’il avait l’obligation de le quitter. Et pourtant, le jugement du tribunal a de manière très explicite donné tort àla Préfectureen annulant cet arrêté.
Extrait du jugement « Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et qu’il n’est pas contesté par la préfecture que L C est entré en France à l’âge de 15 ans ; que ce dernier, qui ne parlait pas français lorsqu’il est entré en F, a été scolarisé au Collège Jean Moulin d’Aubervilliers ; que cette scolarité a révélé un élève particulièrement sérieux et assidu ; que par ailleurs plusieurs de ces professeurs sont venus témoigné de la grande rigueur de son travail et de ses qualités pour les matières scientifiques ; qu’il est en train d’achever ses études en vue de l’obtention d’un baccalauréat en comptabilité ; qu’en outre, L C vit depuis son arrivée en France avec son frère jumeau qui a suivi le même parcours scolaire et a fait preuve des mêmes qualités de travail ; que, dans de telles circonstances très particulières, le préfet en ordonnant la reconduite à la frontière de L C a entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation ; que, par suite, la décision doit être annulée »
Donc, il n’obtient pas sa naturalisation à cause d’une erreur manifeste du préfet …
Témoignages recueillis par Armelle Gardien, Brigitte Wieser et Martine Vernier(RESF)