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Récit des exploits honteux commis à l'encontre des familles sans papiers par la volonté de Nicolas Sarkozy, de Hollande et maintenant de Macron

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Billet de blog 21 octobre 2011

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Folles nuits à la sous-préfecture d'Antony

L'amie dont je parle ici est en France depuis juillet 2002. Elle est venue de façon régulière, avec l'aide d'une association humanitaire en France, afin de pouvoir soigner sa fille atteinte d'une maladie génétique rare dont sa petite sœur venait de mourir à l'âge de 3 ans.

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L'amie dont je parle ici est en France depuis juillet 2002. Elle est venue de façon régulière, avec l'aide d'une association humanitaire en France, afin de pouvoir soigner sa fille atteinte d'une maladie génétique rare dont sa petite sœur venait de mourir à l'âge de 3 ans. Elle a assez vite obtenu un permis de travail et a, depuis la 1ère année, un titre de séjour d'un an. Chaque année, elle dépose un dossier remis à jour à la sous-préfecture qui lui donne un récépissé de 3 mois. Quand elle revient 3 mois après on lui redonne un récépissé de 3 mois, et 3 mois après sa carte de séjour d'un an valable encore 6 mois. Jusque là, chacune de ces démarches lui coûtaient une attente de 2 à 3 heures avant l'ouverture de la sous-préfecture, puis encore quelques heures à l'intérieur. Mais elle avait toujours obtenu son récépissé le jour même. Voilà comment ça s'est passé cette fois :

  • Lundi matin, (c'était le 3 octobre), mon amie Louise me téléphone pour me demander de lui prêter un vélo : le jeudi précédent elle est allée à la sous-préfecture d'Antony pour déposer comme chaque année sa demande de renouvellement de titre de séjour annuel. Arrivée à 7h, elle a attendu jusqu'à l'ouverture à 9h pour s'entendre dire : "le jeudi on ne prend que les gens qui ont déjà un récépissé, pas ceux qui déposent un dossier".

Vendredi matin, voulant mettre toutes les chances de son côté, elle a pris le 1er RER pour la sous-préfecture et est arrivée à 5h50 dans la queue. Celle-ci était déjà longue. On lui dit : "vendredi ils ont pris 80 personnes". Elle a essayé de compter les personnes devant elle mais c'était impossible: tout le monde fait des aller et venues, leur place étant gardé par les voisins de queue pendant que l'un va aux toilettes, l'autre part chercher à manger, le troisième retourne préparer ses enfants pour l'école...impossible de savoir exactement combien de personnes étaient devant elle. A 9h, distribution des tickets: cette fois ils ne prennent que 70 personnes. Elle est encore bien derrière. Elle décide donc de venir le lendemain à vélo en partant de chez elle à 3h du matin pour arriver avant 4h...

Pas question de lui prêter un vélo : ça doit faire au moins 20 ans qu'elle n'en a pas fait, et à 3h du matin sur la route en vélo... je passe donc chez elle à 3h30, avec fauteuils de camping, thermos, ravitaillement, tricot...nous sommes dans la queue à 3h45 et je vis avec elle les 3 premières heures de queue: plusieurs personnes viennent la saluer: elles ont fait connaissance dans la queue les jours précédents ! L'une d'elle est bien devant: elle a pris un des derniers RER et attend déjà depuis minuit 45. Elle est restée assise par terre jusque là car elle n'a pas de sac de couchage ni de chaise pliante chez elle, elle ne voulait pas faire une dépense supplémentaire. Heureusement la nuit est douce. Mais tout le monde a peur de ne pas passer aujourd'hui car la météo a prévu des chutes de température à partir de demain mardi...Elle nous apprend que la 1ère personne de la file est arrivée à 18h30 hier soir: son titre de séjour expire aujourd'hui même. Si elle n'a pas son récépissé aujourd'hui, elle sera licenciée demain: son employeur l'a prévenue. Elle ne pouvait pas se permettre de prendre le moindre risque.
Devant nous, plusieurs dizaines de personnes dorment par terre, enroulées dans des couvertures ou des sacs de couchage: toutes sont déjà venues au moins une fois la semaine dernière, certains trois et même quatre fois.

Un vieux monsieur arrive juste après nous. Il a du mal à marcher. Il nous explique que c'est difficile pour lui de rester debout et nous demande si on peut lui garder sa place pendant qu'il va attendre dans une voiture.

Autour de nous, des étudiants avec leur PC portable en profitent pour travailler, des travailleurs se demandent s'ils vont perdre leur journée de travail, et tout le monde qui raconte la queue de la veille, ou de la semaine dernière. Après une 1ère tournée de chocolat chaud partagé, on sort le tricot en papotant: l'humour est le bienvenu dans une telle situation.

Parmi les histoires qui circulent:

  • celle de jeudi où un jeune homme a fait signer une pétition pour proposer à Mr le sous-préfet quelques idées d'organisation qui permettraient de faciliter la tâche aux personnes devant renouveler leur titre de séjour. Deux policiers sont arrivés. Ils ont demandé :"qui sont les 10 premières personnes sur la liste ?". Ceux qui faisaient la queue ont dit qu'ils avaient tous signé, que l'ordre n'avait aucune importance. La police a demandé qui était le premier, l'initiateur : même refus des signataires. Les policiers ont tenté l'intimidation : vous n'avez pas le droit, on peut vous expulser à cause de ça, on laisse le papier sur une chaise et vous pouvez venir rayer votre signature etc... le jeune homme se fait porte parole, il explique qu'ils ne veulent justement pas troubler l'ordre public, que c'est pour cette raison qu'ils ont choisi la forme écrite pour faire, non pas un scandale, mais des propositions constructives... Finalement, personne dans la queue de mardi matin ne sait ce qu'est devenue la pétition et si quelqu'un a pu la faire remonter à Mr le sous-préfet.
  • celle de l'homme qui par deux fois a tenté de s'infiltrer dans la queue alors qu'il était arrivé par le même RER que Louise. Ses voisins de queue ont crié quand la dame de la sous-préfecture a voulu lui donner son ticket. Elle a compris et il n'a pas pu entrer.
  • celle de cette femme qui est passée dans la queue pour expliquer son problème: elle était déjà venue 4 fois, certains la connaissaient, elle ne pouvait pas laisser ses petits enfants seuls toute la nuit : ils avaient peur. Alors elle venait seulement le matin mais chaque fois elle ne passait pas. Son titre de séjour expirait le lendemain. D'un commun accord, "la queue" lui a laissé une place.
  • celle de cette femme enceinte avec son gros ventre qui ne voulait pas passer dans la file prioritaire. Ses voisins de queue finissent par la convaincre en lui assurant qu'ils gardent sa place au cas où ça ne marcherait pas. Elle revient bientôt : on ne l'a pas laissée passer car elle n'a pas sa carte de priorité. Les voisins s'offusquent: "mais votre ventre est bien plus gros qu'une carte de priorité ! Il faut retourner et insister !" Elle retourne : cette fois on la laisse passer.

Vers 6h un vent frais se lève, certains commencent à grelotter, on refait une tournée de chocolat chaud, de biscuits, ça fait du bien. A 6h30, je laisse Louise pour retourner au chaud m'occuper des enfants ...j'ai le cœur serré en laissant Louise là, je sais qu'elle a une santé fragile et supporte mal le manque de sommeil. Et puis je la laisse dans l'incertitude: nous ne pouvons vraiment pas savoir, bien qu'on ait essayé plusieurs fois de compter les gens dans la queue, si elle va passer ou non: ça va sûrement se jouer à quelques personnes et ça dépend combien ils donnent de tickets aujourd'hui.

9h, le téléphone sonne: c'est Louise: " Tu sais quoi: je suis la dernière à être entrée, j'ai le N° 75 : la dame m'a pris par l'épaule en disant "Après cette dame, je ferme la porte" et elle a aussitôt fermé la porte derrière moi: je n'ai même pas pu dire au revoir à la jeune fille qui a passé la nuit avec nous, ni aux trois étudiants avec qui on a discuté ! Ça m'a fait tellement mal au cœur de les voir refusés ! Tu imagines, s'ils en avaient pris 80 comme hier, ils passaient ! Mais vraiment, je suis tellement soulagée d'avoir mon ticket !

- et le vieux monsieur derrière nous, il est resté derrière la porte ?

Non, heureusement, je lui ai demandé s'il n'avait pas une carte améthyste par hasard. Il m'a dit que oui. Alors je lui ai dit d'aller dans la file des prioritaires, qu'il avait le droit de passer en priorité. Il ne me croyait pas, j'ai dû insister. Finalement il a essayé et il est passé. Il est dedans avec moi.

Soulagement : on n'aura pas à recommencer demain. On avait prévu, avec Louise, que j'irai dormir là-bas avec mon sac de couchage et qu'elle viendrait prendre ma place à 7h. Je vais bien apprécier mon lit cette nuit.

10h30 : Louise rappelle: elle a pu obtenir la liste de tous les documents qui sont parfois demandés pour le dossier. Elle ne sait pas ce qu'ils vont lui demander à elle cette fois-ci, mais parmi la liste il y a quelques papiers qu'elle n'a pas pensé à prendre. Je vais la chercher pour qu'elle récupère ces papiers avant de revenir. Elle commence à se sentir mal et vomit une première fois. 1h après, sur le chemin du retour, elle vomit à nouveau. J'insiste pour qu'elle vienne faire une sieste à la maison mais elle ne veut pas: "imagine qu'ils aillent plus vite que ce matin et que je loupe mon tour : on aurait fait tout ça pour rien ! Pas question: je tiendrai le coup, ne t'inquiète pas."

Je la laisse à midi, je fais une grande sieste de 2h et j'attends son appel...jusqu'à 17h : il n'y a plus que 2 personnes devant elle. Elle a téléphoné à Claudine pour lui dire d'aller chercher ses sœurs à l'école. A 16h, elle a réconforté une dame qui était juste devant elle et qui paniquait en voyant arriver l'heure de fermeture du bureau des étrangers (16h30) : quand elle a demandé à une employée si, après 16h30, ils continuaient à traiter les dossiers de ceux qui avaient un n°, la dame lui avait seulement répondu "l'heure, c'est l'heure". Elle était donc persuadée qu'on allait la mettre dehors sans prendre son dossier ! Louise tentait de la rassurer mais c'est seulement à 17h, voyant que les employés continuaient à travailler, qu'elle s'est calmée.

Quand je vais chercher Louise à 17h30, elle est épuisée, elle a mal partout, n'a rien gardé de ce qu'elle a mangé depuis hier soir. Mais il ya les devoirs des filles qui l'attendent, heureusement Claudine pourra préparer le dîner et coucher les petites. Elle pourra se coucher vers 20h si tout va bien.

Plus qu'à attendre la prochaine étape: dans 3 mois, il faudra retourner à la sous-préfecture avec le récépissé afin d'en recevoir un autre de 3 mois. Et 3 mois plus tard, retourner pour obtenir la carte d'un an valable à partir...de ce mardi 4 octobre, qui sera donc périmée 6 mois plus tard. Peut-on intégrer ce genre de démarche dans la routine de son quotidien ? J'ai appris par Maya ce matin que ça se passe comme ça depuis longtemps à la sous-préfecture de Bobigny. Mais à Antony, c'est nouveau de cette année. Jusque-là, on était sûr de passer en arrivant à 6h.

Voilà, je suis écœurée et impuissante. Je vous laisse pour essayer de contacter le cercle de silence d'Antony.


Marie-Agnès CHOLLEY

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