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Récit des exploits honteux commis à l'encontre des familles sans papiers par la volonté de Nicolas Sarkozy, de Hollande et maintenant de Macron

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Billet de blog 23 mai 2013

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Quatre enfants, deux visas, c’est pas normal, pas humain

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Un an de quinquennat Hollande, un non-anniversaire feutré, le gouvernement travaille. Attendez, nous dit-on, le changement est en marche…

Pour quelques familles, quelques enfants, dont les vies avaient subi douloureusement la violence des années Sarkozy-Guéant, le changement était, croyaient-ils, à portée de main en mai 2012. Et puis ? …. Et puis rien. Ou plutôt 365 jours interminables, ponctués de démarches auprès du cabinet de Manuel Valls, de non-réponses, de silences, d’évitement, de refus. Pour ces familles démembrées, ces pères expulsés, ces enfants souffrants, 365 jours de peine et de désespoir.

Qu’est devenue depuis mai 2012 la famille de Marjorie Victor, mère haïtienne de quatre enfants, qu’elle avait laissés en 2007 le temps de régler avec son mari français Laurent Ferry les démarches nécessaires à leur venue ? En décembre 2010, dix longs mois après le séisme, l’autorisation de regroupement familial est enfin accordée par le préfet des Hauts de Seine. En novembre 2011, onze mois plus tard, alors que tout est prêt pour accueillir les enfants, l’ambassade de France à Port au Prince refuse de délivrer les visas. Le motif : les enfants n’ont pas fourni de « premières » déclarations de naissances. Rien d’étonnant à cela. La majorité des Haïtiens sont déclarés religieusement, comme l’ont été les enfants de Marjorie, et plus rarement, ou plus tardivement à l’état-civil. On finit par comprendre que l’ambassade soupçonne surtout Marjorie de frauder, de ne pas être la mère de ses enfants.  En avril 2012, pourtant, le tribunal administratif, au-delà des erreurs figurant sur les actes de Cynthia et Makey, et sur lesquels Marjorie a fourni les explications demandées,  dit clairement que Marjorie est la mère, parce qu’elle a fait depuis des années tout ce que ferait une mère séparée de ses enfants. Les témoignages, les lettres et les preuves matérielles apportées le disent autant qu’il est nécessaire. Le tribunal impose au ministère (Guéant en l’occurrence) de réexaminer la situation, et le condamne parallèlement à verser à Marjorie 1000 euros, (une broutille pour ce ministère !, une vraie reconnaissance pour la famille).

Le 1er mai 2012, rappelez-vous, l’entre deux tours de l’élection présidentielle, un peu partout en France et à Paris, le flot de ceux qui demandent le changement n’en finit plus de défiler dans les rues du quartier latin. C’était un soir de bel espoir. Mais pas pour les parents Ferry qui venaient d’apprendre que l’ambassade n’accordait que deux visas, ceux de  Vanessa et Marlina, les deux plus jeunes filles de Marjorie. Refus pour Cynthia et Makey, leurs aînés.

Deux visas pour quatre enfants, ce n’est pas normal ! Mais dans l’esprit de chacun, le changement c’est demain, et les choses rentreraient très vite en ordre.

Dès la formation du cabinet de Manuel Valls, ce dossier sensible fut, avec quelques autres, signalé aux nouveaux conseillers du ministre. Il nous semblait qu’il y avait  urgence à manifester la rupture avec les pratiques dévastatrices de leurs prédécesseurs et à solder l’héritage de Guéant et de Sarkozy.

Il serait trop long de reprendre par le détail la succession des démarches entreprises auprès du ministère, du directeur adjoint du cabinet Thomas Andrieu, et des conseillers successifs à l’immigration, Eléonore Lacroix et Raphael Sodini, ainsi qu’auprès du directeur adjoint du cabinet de François Hollande, Alain Zabulon, ancien sous-préfet d’Antony (92).

Le 7 juillet, après des semaines de silence du cabinet, la famille se rend au ministère, demande à être reçue, en reçoit la promesse, démentie deux jours plus tard. La conseillère immigration reçoit finalement  RESF 92 mais pas les premiers concernés. Ses interlocuteurs l’entendent faire part de l’impossibilité de prendre une décision qui risquerait de faire venir enFrance des enfantsdont la famille par la suite ne voudrait plus. Sans compter toutes les autres. Le fameux appel d’air !

Rencontrer cette mère qui depuis 2007 a engagé sa vie, ses efforts, la vie de son couple, son argent, sa santé pour faire venir des enfants qui pourraient ne pas être les siens et se forger sa propre conviction ?  Pas question.  

Fin juillet, le recours contre le refus de visas pour Cynthia et Makey est jugé à Nantes. Même dossier, mêmes témoignages, complétés de ceux de Marlina et Vanessa, les deux jeunes sœurs de Cynthia et Makey, tout juste arrivées de Port-au-Prince. Le ministère public, implacable, balaie toutes les preuves matérielles de l’engagement de la mère dans le maintien du lien familial. Le jugement tombe : refus, rien ne prouve que Marjorie Victor est la mère de Cynthia et Makey.  On a bien vu, naguère, des juges établir que la terre est plate !

Un verdict terrible qui anéantit la famille tout entière, celle qui vit en France, niée dans sa réalité la plus intime, et les deux jeunes abandonnés à Haïti.

Il faut tenir encore, et toujours. A l’université du PS àLa Rochelle, Laurent Ferry remet son dossier dans les mains de Manuel Valls. Au même moment, l’ouragan Isaac se déchaine sur Haïti , une nouvelle qui plonge la famille dans la plus grande inquiétude.

Début septembre, l’oncle qui jusque là avait assuré la prise en charge des jeunes en Haïti, fait savoir qu’il ne le peut plus. Marjorie décide alors d’envoyer ses enfants à l’abri, en République dominicaine.

Elle s’épuise à chercher des moyens de les faire venir. Elle réclame le droit de faire le test génétique qui à l’évidence confirmerait la filiation. Impossible en France sans décision de justice, les jeunes sont majeurs, eux seuls pourraient l’initier, c’est évidemment au dessus de leurs possibilités. Au même moment les médias se passionnent pour la requête en reconnaissance de paternité intentée par une ex-ministre de la justice. Insupportable pour les parents !

Là-bas, les enfants sont livrés à eux-mêmes, Cynthia souvent malade, s’accroche cependant pour reprendre sa scolarité. Makey trouve des petits boulots. Les parents envoient de l’argent, leurs ressources sont épuisées, leur santé aussi. Marjorie recherche en Haiti une personne qu’elle espère de confiance pour faire établir des actes d’état-civil recevables par les services consulaires. Sans résultat.

Au ministère, on change de conseiller immigration. Nouvelle tête, vieux discours. La loi, rien que la loi. Faites-moi passer le dossier, nous dit-on, en octobre ! Le cabinet serait-il si désordonné que les dossiers s’égarent ? Nouvel envoi, en pure perte.

Noël arrive. Didier Lebret, ambassadeur de France à Port au Prince quitte ses fonctions. Aura-t-il l’intelligence et l’humanité de solder à cette occasion la situation des Ferry et quelques autres ? RESF écrit en ce sens au cabinet de Manuel Valls. Pas de réponse. S’adressant aux élus qui l’ont interpelé sur cette affaire, M. Le Bret se targue d’avoir accordé la quasi-totalité des visas sollicités pour regroupement familial. Une affirmation qui sonne bien creux pour les nombreux Haïtiens, qui ne sont toujours pas parvenus à réunir leur famille depuis le séisme.

 Mars 2013. Marjorie apprend que sa fille Cynthia a été agressée, qu’elle a subi des violences. Hospitalisation, traumatisme. Le ministère est immédiatement saisi en vue du rapatriement de la jeune fille. Il ne bouge pas. La famille est sous le choc, la mère effondrée. En urgence le consulat d’Haiti en France est sollicité pour accélérer l’établissement et la validation des documents d’état-civil requis. A 6000 km de là, la machine administrative est plus lente.

Mai 2013. Les documents sont en attente. Cynthia, dont la santé se délabre, est hospitalisée à plusieurs reprises. Le pasteur qui l’a accueillie depuis son agression, n’a pas les moyens de lui prodiguer les soins requis.

Pour Marjorie, il n’y a pas d’autre choix que de partir au chevet de sa fille. Son retour est prévu dans un mois. Si rien n’a bougé d’ici là, les laissera-t-elle derrière elle une seconde fois ? 

 Un an de souffrances, des centaines de jours pendant lesquels toute une famille, des proches, des enseignants des enfants, des collègues de travail des parents, ceux qui ont lu les articles de presse, ou vu les images tournées par les medias, tous ont voulu croire que Manuel Valls, ou peut-être François Hollande, pouvaient prendre la décision qui mettrait fin à ce cauchemar.

Mais les enfants de Marjorie Victor subissent une triple peine. Ils sont Haïtiens. On sait bien que l’état-civil de ce pays fait l’objet de critiques et de défiance de la part des pays occidentaux, dontla France, on peut aussi constater que ces mêmes pays omni présents sur place pour consolider leurs intérêts n’ont pas montré la même efficacité pour renforcer l’état haïtien. Haïtiens victimes du séisme, (leur mère y a perdu 30 personnes de sa famille), ils subissent les effets de la suspicion engendrée par des erreurs qui auraient été commises lorsque de nombreux visas ont été délivrés par ces mêmes pays pour évacuer des enfants. Trois ans plus tard, la suspicion persiste, le discours est immuable.

Ils sont enfin, comme M. Mo, expulsé sous Guéant après 10 ans en France et père de deux jeunes enfants, comme Blendon Gashi, 12 ans, expulsé avec sa famille peu avant une opération indispensable, et tous interdits de retour en France, les victimes d’une posture politique tétanisée à l’idée d’être taxé de laxisme par la droite si d’aventure ils se risquaient à prendre ces décisions de justice et d’humanité.

Ce gouvernement s’honorerait, il en a assez peu l’occasion, à ne pas ajouter trop de malheur au malheur et autant qu’il est possible à réparer les erreurs d’un passé qu’il a combattu, jadis. 

Armelle Gardien, RESF 92

http://resf.info/article46779.html

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