En France, on ne plaisante pas avec les papiers : on n’en donne pas à ceux qui en demandent, puis on les arrête parce qu’ils n’en ont pas et finalement on les empêche d’en demander
Hailiang Su arrive en France il y a un peu plus de dix ans, le 2 août 2002. Il cherche immédiatement à « s’intégrer », s’inscrivant dans une association d’aide à l’apprentissage du français. Malgré un emploi du temps surchargé par de longues heures d’un travail pénible, Hailiang ne renonce jamais à apprendre notre langue. Il vient d’ailleurs d’obtenir son DILF.
A son arrivée, Hailiang fait une demande de statut de réfugié : demande rejetée, ainsi que tous les recours déposés ensuite. Depuis août dernier, Hailiang Su aurait pu déposer un dossier de demande de régularisation, au titre de dix ans de vie passée en France. Mais cela lui est administrativement impossible : s’étant fait arrêter en avril 2012, il reste sous le coup d’une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire) qui lui interdit toute tentative de régularisation. Car il s’est déjà fait arrêter en 2010, Hailiang ! En France, on ne plaisante pas avec les papiers : on n’en donne pas à ceux qui en demande, puis on les arrête parce qu’ils n’en ont pas (de papiers) et finalement on les empêche d’en demander (des papiers).
En 2009, Hailiang et sa femme ont eu un petit garçon, Clément, né en France donc. Très vite, le développement de Clément pose problèmes : il bénéficie à l’heure actuelle d’une scolarité adaptée et d’un suivi régulier dans un grand hôpital parisien. Sa mère se consacre à son éducation, se pliant aux rythmes contraignants des rendez- vous et consultations. Elle participe aux activités d’une association franco-chinoise qui la soutient en retour dans ses démarches médicales. Elle rencontre régulièrement les enseignants et les autres parents de l’école, pour faire le point sur la situation de son fils.
Le couple a aussi une fille de 12 ans qui habite pour l’instant en Chine : ses parents sont déterminés à la faire venir en France dès qu’ils seront régularisés : en attendant, ils lui envoient régulièrement de l’argent, des cadeaux : ils collectionnent ses photos, lui parlent par Skype. C’est aussi pour la retrouver vite que Monsieur Su se bat avec autant d’acharnement pour apprendre le français et obtenir des papiers.
Mais cela risque d’être très compliqué : le 5 mars 2013, Hailiang SU s’est fait arrêter pour la troisième fois en moins de trois ans et est, depuis, détenu au Centre de rétention administrative de Vincennes : il y a été placé à la suite d’une interpellation sur son lieu de travail, un atelier de confection à Aulnay-Sous-Bois. Depuis, il est séparé de Clément et de sa femme et risque l’expulsion vers la Chine ; son épouse et son fils restent, eux, sans aucune ressource.
Quand on demande à la préfecture de libérer Monsieur Su, celle-ci met en avant le fait que sa fille aînée est en Chine.
Penser que Monsieur Su en Chine serait plus à même de s’occuper de sa famille témoignerait pourtant d’une grande méconnaissance de l’organisation de la société chinoise.
En effet, renvoyer Hailiang Su en Chine ne pourrait que plonger cette famille dans une situation terrible. Seule et sans aucune ressource, Mme Su aurait beaucoup de mal à s’occuper d’un enfant comme Clément, qui présente de telles difficultés. Hailiang Su, parti de Chine depuis 10 ans, sans « hukou » (permis de circulation chinois) ne pourrait plus subvenir aux besoins, ni de sa fille, ni de sa femme et son fils restés en France. C’est donc la famille entière qui se retrouverait, et séparée, et plongée dans une grande misère, morale et économique.
Il sera impossible à Mme Su de rejoindre son époux avec le petit Clément : cela reviendrait à condamner définitivement ce dernier. En tant que 2nd enfant de ses parents, né en France, il n’aura jamais de reconnaissance légale en Chine et n’aura pas accès aux soins dont il a besoin. La famille entière, plongée dans l’illégalité et sans ressources, viendrait grandir la foule des miséreux qui se pressent aux portes des mégapoles chinoises. Dans un pays dans lequel 150 millions d’individus vivent avec moins de 1$ par jour et où quelqu’un qui ne détient pas de « hukou » urbain ne peut pas scolariser gratuitement ses enfants, dans un pays qui peine à reconnaitre les enfants nés ailleurs (surtout quand ils ne sont pas les premiers nés de la famille), on ne voit pas du tout comment le petit Clément pourrait grandir dans de bonnes conditions.
La situation économique et sociale de la France s’amélioreront-elles quandla famille Suaura plongé dans la détresse ? Combien de temps encore devrons-nous avoir honte des actes de nos gouvernements ?
Annick Vignes RESF 75
Pour faire libérer Monsieur Su, signer la pétition http://www.educationsansfrontieres.org/?page=article&id_article=46419