Enfants haïtiens : lettre ouverte à Claude Guéant
Lettre à Monsieur Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Monsieur le ministre
Serait-ce parce que vous n’aviez pas figuré parmi les prestigieux destinataires des courriers adressés par la famille Victor Ferry, depuis deux ans, afin d’obtenir la venue en France des quatre enfants haïtiens de madame Victor, qu’aujourd’hui vos services opposent un silence méprisant aux interpellations qui leur sont faites à ce sujet ?
Resterez-vous vous-même, Monsieur le ministre, souverainement indifférent à la détresse croissante de ces enfants et à celle de leur famille en France si cette situation, pourtant médiatisée, vous est à nouveau exposée ?
La famille Victor Ferry ressemble à de nombreuses familles haïtiennes et franco haïtiennes, pour lesquelles la demande de regroupement familial a depuis tant d’années constitué un parcours épuisant du combattant, une course d’obstacles où lorsque le dernier mur est franchi, une barrière infranchissable surgit brutalement.
Marjorie Victor mère haïtienne de quatre enfants, épouse en 2006 Laurent Ferry, français, agent de la RATP, que les enfants adoptent très vite. Mais si la mère peut suivre son mari en 2007 en France, la chose est impossible pour les enfants. Le CESEDA est formel, des critères de ressources, de taille de logement sont exigés, et le couple se met en mesure de s’y conformer. Absurdité au passage, quand un logement social est trouvé, ils ne peuvent y accéder puisque les enfants ne sont pas présents…
La famille ne se trouve rassemblée qu’en vacances, elle se retrouve en république dominicaine, là où le couple s’est rencontré. Vous pourriez feuilleter les albums de photos, et peut être seriez vous, Monsieur le ministre, attendri des instantanés de cette famille recomposée, des moments de joie et de détente entre enfants, autour de leur nouveau petit frère Téo, né en 2008.
Le 12 janvier 2010, quand la terre tremble à Port au Prince, ils sont ensemble en république dominicaine.
Sauvés mais ô combien meurtris. Marjorie a perdu trente personnes de sa famille. Sa maison, ses papiers, tous ses biens sont sous les décombres, et ce qu’il en reste est pillé. En France, le ministre de l’immigration de l’époque, Eric Besson s’engage et promet un « allègement des conditions du regroupement familial et des facilités […] pour la délivrance des visas pour visites familiales ». Venu visiter Haïti, le 17 février, l’espace d’une matinée, Nicolas Sarkozy déclare alors, c’est tout à son honneur, « La France sera à la hauteur de ses responsabilités, de son histoire partagée et de son amitié avec Haïti."
Ce qu’aurait bien voulu croire la famille Victor Ferry. Dès leur retour en France, les parents multiplient les démarches pour obtenir en urgence le regroupement de leurs enfants tous quatre mineurs. Constatant que les choses n’avancent pas, ils s’adressent au président Sarkozy, à madame Carla Bruni, à la ministre des affaires étrangères, aux élus locaux, qui à l’unanimité, font part de leur profonde empathie, et bottent en touchent, renvoyant aux services de l’immigration. Après un premier refus en avril 2010 (qui contredit en tous points l’annonce des allégements des conditions affichées par M. Besson), ils finissent par obtenir le logement exigé et en décembre 2010 le feu vert du préfet des Hauts de Seine pour la venue des enfants. Il ne reste plus qu’à se procurer les visas auprès de l’ambassade de France, et donc constituer pour chaque enfant un dossier conforme.
Comme c’est le cas pour de très nombreuses familles haïtiennes, la déclaration à l’état civil des enfants a été très tardive, mais comme c’est aussi l’usage en Haïti, Marjorie Victor a fait baptiser ses enfants quelques semaines après leur naissance, les actes de baptême établissant à cette date la filiation des enfants. Au bout de plusieurs mois, ils parviennent à fournir tous les documents qui leur ont été demandés, accompagnés de l’accord de l’OFFI
Et c’est le refus, pour les quatre enfants, motivés par l’absence de pièces établissant avec certitude la filiation des enfants. L’ambassade de France redoute, fait-elle répondre t-elle aux médias, les trafics d’enfants.
Louable suspicion, que tout un chacun peut partager. Quatre ans de démarches, l’envoi mensuel d’argent aux enfants, plus les extras : les soins, les médicaments, les frais de téléphone deux ou trois cartes prépayées chaque semaine. Frais de dossiers aussi, puisque chaque document exigé par le consulat doit être légalisé et donc payé, et ces enfants là sont quatre ! Frais de visas : pour un rendez vous au consulat, il faut payer aussi à la SOGEBANK. Au moins 30 000 euros, et maintenant, ils ont cessé d’additionner les sommes. c’est trop ! D’ailleurs, les visas sont payés, l’ambassade a gardé l’argent, mais elle n’a pas délivré les visas. Comme dans certaines maisons, on paye avant, satisfait du service ou pas.
Et tout un chacun pourra légitimement envisager qu’une mère engage ainsi toute son existence pour des enfants qui ne seraient pas les siens. Tout est possible en effet concernant Haiti. Bien avant le séisme, l’ambassade de France avait posé comme principe la mise en cause systématique de l’authenticité des actes d’état civil haïtiens et rendu de fait impossible le regroupement des familles.
Il se trouve pourtant que ces enfants là sont ses enfants, des enfants qu’elle n’a pas revus depuis janvier 2010, des enfants qu’elle ne voit pas grandir et qui deviennent de jeunes adultes loin d’elle.
Vos services, monsieur le ministre, sont parfaitement au courant de cette situation. Avec quelque mauvaise volonté il est vrai. Le secrétariat de Monsieur Christophe Raynaud nous prie, pour la 3ème fois de lui envoyer la même note sur la famille, à croire qu’il règne un certain désordre dans cette administration. Ou bien, comme il m'a été répondu, au sujet des enfants « Ils attendent depuis 4 ans, ils peuvent bien attendre quelques heures de plus !
Vous devriez parfois envoyer certains de vos fonctionnaires prendre l’air dans les rues d’Haiti, où l’insécurité règne, et où les violences et racket, et notamment à l’encontre des enfants sont monnaie courante, comme aux abords de l’ambassade de France d’ailleurs.
Vous pourriez demander aux fonctionnaires de la Direction de l’immigration vers lesquels la famille Victor Ferry a été « orientée », pourquoi ils ne répondent ni aux appels téléphoniques, ni au courriel. Ces gens là sont-ils trop peu de choses ? L’immigration que vous ne choisissez pas ?
Monsieur le ministre, quels sont vos chiffres sur la réalité des regroupements familiaux facilités pour les familles haïtiennes ? Combien d’entre elles les obstacles mis par vos services ont-ils découragé ? Combien de parents et d’enfants restent –ils séparés ? Combien d’autres ont-ils été contraints d’utiliser des faux papiers pour parvenir à la chose la plus légitime, le droit de vivre en famille. Pourquoi la France qui se targue à ce point de son histoire commune avec Haiti figure t-elle parmi les pays les plus rejetants, comme elle l’a fait pour les étudiants étrangers, se privant délibérément de la richesse de ces échanges.
Il ne suffit pas, Monsieur le ministre, de se gargariser de mots, d'assurer tout un chacun de sa compassion et, dans la réalité de mépriser la souffrance de ceux qui ne peuvent pas se faire entendre. Je vous demande, nous vous demandons, d'enjoindre l'ambassade de France à Port au Prince de faire délivrer en urgence aux enfants de Marjorie Victor les visas qui leur permettront enfin de rejoindre leur mère.
Je vous prie, Monsieur le ministre d'agréer l'expression de mes salutations.
Armelle Gardien
RESF 92