On entend beaucoup dire que la publicité s’est améliorée du point de vue de la représentation des genres. On lit que « les sous-entendus xénophobes ou misogynes » étaient fréquents dans les publicités des années 1950 et 1960 mais que ce n’est « plus le cas aujourd’hui » ; que les affiches sexistes font partie de ces « pubs qu’on ne verra plus jamais » ; voire que les hommes sont devenus « le sexe faible de la publicité »1. Mais ces discours ne reflètent pas forcément la réalité. Le rapport de l’Observatoire du publisexisme, publié en 2020 a prouvé le contraire. En recueillant et analysant plus de 150 contributions dans vingt villes de France, nous avons montré que le sexisme dans la publicité est encore bien réel.
Un sondage de 2019 indiquait que 90% des publicitaires pensaient que les femmes étaient représentées positivement dans les publicités alors que 45% des français·es pensaient le contraire2. Les publicitaires n’ont donc pas conscience des biais sexistes qu’ils continuent à imposer à la société à travers leurs discours et productions.
C'est un problème dans la mesure où la publicité n’est pas une simple information proposée aux citoyen·nes : massive et non sollicitée, elle diffuse des valeurs et des normes sociales en permanence, à travers des choix sémantiques ou audiovisuels uniformes3 (sexisme mais aussi consumérisme4, valeurs "matérialistes" et individualistes5...). En multipliant les représentations sexistes dans l’espace public (nous recevons en moyenne 15000 stimuli de marques par jour, dont 1500 à 3000 de publicités à proprement parler6), la publicité contribue ainsi à les normaliser, à les rendre naturelles. Elle participe donc à la diffusion et la légitimation d’un monde dans lequel les personnes identifiées comme « femmes » sont désavantagées, et où certains privilèges sont réservés aux personnes identifiées comme « hommes ».
En analysant les publicités reçues dans la première édition de l’Observatoire, on voit apparaître les femmes comme éternellement belles et jeunes, sexuellement disponibles, mais prêtes à récupérer toute la charge mentale familiale en s’occupant des enfants et des tâches ménagères. Elles sont vénales mais fragiles, ont besoin des hommes pour conduire, et travaillent dans les métiers du soin car elles sont empathiques. Sont absentes des publicités les femmes noires, vieilles, invalides, et toutes celles qui ne sont pas parfaitement épilées. Cette homogénéité sociale produit ce que le critique de cinéma Malvyn Stokes appelle des « absences structurantes »7. Ainsi, c’est tout un récit sur l'image et la place des femmes qui se crée, et qui s’impose au quotidien, que les publicitaires en soient ou non conscient·es.
Les femmes sont représentées comme des objets sexuels soumis au désir des hommes. Par des positions (bouche entre-ouverte, jambes écartées), des cadrages (femmes-troncs) et un vocabulaire (souvent en anglais pour en atténuer la violence) emprunté aux codes de la pornographie, les publicités établissent une association entre la soumission des femmes au désir-pulsion des hommes et des produits du quotidien, ancrant ainsi la culture du viol dans la banalité, la normalité. Des chercheur·ses ont montré que la représentation médiatique des femmes comme victimes renforçait l’acceptabilité sociale de la violence à leur encontre8.
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Publicités pour respectivement des lunettes (2021) et des vêtements pour hommes (2019), qui empruntent aux codes de la pornographie ou présentent carrément une situation de viol
Le rôle que jouent les contenus publicitaires sexistes sur les schémas mentaux individuels a été reconnu par la loi. La loi du 5 mai 2017 oblige à mettre une mention «photographie retouchée» lorsque «l’apparence des mannequins a été modifiée par un logiciel de traitement d’image, pour affiner ou épaissir leur silhouette », dans le but « d’agir sur l’image du corps dans la société pour éviter la promotion d’idéaux de beauté inaccessibles et prévenir l’anorexie chez les jeunes ». L’intention est louable, mais comme nous l’avons déjà montré dans un rapport de 2019, les mentions légales sont des dispositifs inefficaces qui ne servent qu’à faire perdurer l’autorégulation du secteur publicitaire9. L’exemple de la publicité pour la malbouffe illustre très bien cette inefficacité : les mentions légales sont trop petites, les consommateur·rices les oublient, et elles finissent même par être contre-productives en déculpabilisant l'achat de produits nocifs pour la santé10.
Actuellement le seul organe de contrôle de la publicité est l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP). R.A.P. considère que l’ARPP est à la fois juge et partie car administrée par les représentant.es des professions publicitaires (annonceurs, agences, médias, régies et supports publicitaires). Ses règles en matière de sexisme et de respect de la personne sont consultables à cette adresse.
Cette « autorité » est souvent saisie sur le sexisme de certaines publicités. Mais le temps de réponse est trop long et les campagnes sont interdites trop tard (en moyenne 14 semaines après leur diffusion) ou font un « bad buzz », leur accordant ainsi une large diffusion... une aubaine pour les marques, qui peut parfois même les inciter à faire des campagnes choquantes et sexistes pour récupérer cette visibilité.
Le constat que nous faisons est que l’action de l’ARPP seule ne suffit pas à enrayer le sexisme dans la publicité.
Le problème du publisexisme est donc reconnu autant par la société civile que par les pouvoirs publics, mais les mesures prises sont insuffisantes.
Nous relançons cette année l’Observatoire de la Publicité Sexiste. Notre but est de recueillir encore plus de contributions, afin de renforcer la crédibilité des résultats de cette première édition, d’approfondir nos analyses et d'étudier d'éventuelles évolutions. Les objectifs politiques restent les mêmes : mettre en lumière le publisexisme et ses effets, pour faire voter des mesures concrètes permettant de le combattre.
Les objectifs de l’Observatoire de la publicité sexiste
Ce 8 mars 2022, R.A.P. a relancé l’Observatoire de la publicité sexiste. L’objectif est d’inclure la société civile dans le débat sur la régulation de la publicité, pour contre-balancer et compléter l’action de l’ARPP.
À travers une plate-forme collaborative en ligne, chaque citoyen·ne pourra soumettre des exemples de publicités jugées sexistes, apparues sous différents supports, en France, pendant un an.
Ce grand recensement a déjà été effectué entre 2019 et 2020. Il a permis de produire un rapport d’analyse montrant que le sexisme est encore omniprésent dans la publicité.
Il nous a permis de définir trois revendications pour le combattre : a minima, l’interdiction des publicités sexistes dans la loi et la mise en place d’une instance de régulation indépendante permettant l’application de cette loi. A maxima, l’interdiction de représenter des corps humains ou humanoïdes dans la publicité.
Nous relançons cette année l’OPS, afin de recueillir plus de contributions, et de continuer la réflexion entamée sur le sexisme et la publicité.
Alors à vous de jouer ! Nous attendons vos contributions...
Consulter le rapport de la précédente édition
NOTES
1 Thierry LIBAERT et Guéraud GUIBERT, « Publicité et transition écologique », rapport commandé par le ministère de la transition écologique et solidaire, juin 2020, p. 22 ; Annie PASTOR, Les pubs que vous ne verrez plus jamais, Jean-Marc SFEIR, « L’homme, nouveau sexe faible de la pub », L’Obs, 28 septembre 2014
2 Kantar Media, Getting Gender Right, 2019
3 « La force du discours publicitaire réside dans ses effets cumulatifs et normatifs. La publicité ou, plus largement, le discours médiatico-marchand peuvent être définis comme [...] l'expression d'une façon de concevoir les valeurs de l'existence et les catégories de l'expérience. » Anthony GALUZZO, La Fabrique du consommateur, 2020, éditions Zones La Découverte, p. 177
4 Voir notre article « Publicité, l’industrialisation de la manipulation » publié en 2021 https://blogs.mediapart.fr/resistance-agression-pub/blog/231121/publicite-lindustrialisation-de-la-manipulation
5 Tim KASSER, 2002, The High Price of Materialism, Cambridge (MA), MIT Press.
6 Voir notre article : « Pression publicitaire : un état des lieux », publié en 2018 https://antipub.org/pression- publicitaire-etat-des-lieux/
7 Malvyn STOKES, « Structuring absences : images of America missing from the Hollywood screen », Revues françaises d'études américaines, vol. 3, n°89, 2001
8 N. M. MALAMUTH et J. V. P. Check, « The effect of mass media exposure on acceptance of violence against women : a field experiment », J. Res. Personal. 15, 436-446, 1981
9 Voir notre rapport « Légiférer sur la publicité pour limiter le gaspillage et favoriser l’économie circulaire », juin 2019, à retrouver ici https://antipub.org/wp-content/uploads/2019/12/Rapport-RAP-Pub-gaspillage-dec-2019.pdf
10 Voir le chapitre 3 de ce rapport de l'INSERM, « Agir sur les comportements nutritionnels : Réglementation, marketing et influence des communications de santé », 2017. On y lit que les recherches montrent « un problème de compréhension des messages sanitaires qui sont confondus avec les messages publicitaires (UFC-Que Choisir, 2006), une lassitude par rapport aux messages sanitaires qui sont jugés répétitifs (Rajohanesa et coll., 2009; Ayadi et Ezan, 2012), même si lors de leur lancement les appréciations portées sur les messages sanitaires étaient positives (Inpes, 2007). », et que ces messages peuvent «avoir des effets inattendus, leur présence étant associée à des attitudes implicites plus favorables par rapport au produit annoncé et au choix d’un aliment hédonique par la suite (Werleet Cuny, 2012). »