De la pandémie du Covid aux sécheresses répétées, en passant par la hausse de la précarité, toutes les crises de ces dernières années nous imposent des actes forts dans les plus brefs délais. Les spécialistes sont toujours plus nombreux à nous alerter sur l’accélération de ces phénomènes et sur l’urgence à agir. Tandis que la politique gouvernementale s’entête à traiter les symptômes plutôt que les causes, à la Révolution Écologique pour le Vivant (REV), nous sommes convaincus qu’il s’agit au contraire de s’attaquer aux racines du problème pour éviter le pire. Et parmi les divers facteurs des catastrophes actuelles et à venir, qu’elles soient écologiques, sociales ou sanitaires, les élevages intensifs occupent une place prépondérante.
La lutte pour la fermeture des élevages industriels est trop souvent reléguée au second plan. Elle est généralement cantonnée, dans l’imaginaire collectif, aux seules préoccupations des associations de protection animale. Or, abolir les fermes-usines dépasse la question du bien-être animal et devrait concerner absolument tous les responsables politiques de ce pays. Cette pratique issue du monde productiviste dicté par nos gouvernants néolibéraux nuit aux animaux qu’elle élève pour tuer, aux humains qu’elle exploite et aux sols qu’elle souille.
En première ligne, les agriculteurs sont à la fois les acteurs et les victimes de ces exploitations géantes. Poussés par un système encourageant l’agrandissement sans limite des parcelles et la déshumanisation du métier, notamment via les aides de la PAC conditionnées à l’hectare, les professionnels du secteur se retrouvent rapidement face à un dilemme : industrialiser leur exploitation ou mettre la clé sous la porte. C’est ainsi qu’en 40 ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par 4(1), tandis qu’en 10 ans, la surface moyenne des exploitations agricoles a augmenté de 14 hectares(2). Plus les exploitations prennent de l’ampleur, plus les dettes s’accumulent et précarisent les agriculteurs (26% vivent sous le seuil de pauvreté (3)). Outre les chiffres qui parlent d’eux-mêmes, quid de la perte de sens dont souffre la profession ? Aucun éleveur ne peut en effet prétendre s’épanouir dans un environnement où le lien à la terre a été remplacé par la quête perpétuelle de rendement. Pire, selon la MSA, un agriculteur se suiciderait tous les 2 jours.
Mettre fin aux élevages intensifs est également une question de santé publique. La crise du coronavirus nous en a été un parfait exemple : la quasi-totalité des pandémies mondiales et 70% des maladies émergentes sont ou ont été causées par des zoonoses(4). Les maladies transmises de l’animal à l’homme ont des origines bien connues, en particulier la concentration d’animaux dans un espace restreint. Avec 22 poules par mètre carré et des truies reproductrices qui écrasent leurs petits par manque de place, la ferme-usine est par définition un modèle concentrationnaire typiquement susceptible de générer des zoonoses. Abolir cette aberration, c’est nous prémunir de futures pandémies, dont l’apparition prochaine est annoncée par nombre de scientifiques5 si nous ne changeons pas nos modes de vie.
Les conséquences des élevages intensifs sur la planète sont à la fois évidentes et colossales. Plus le nombre d’animaux d’élevage augmente, plus les surfaces de culture s’étendent. Ainsi, l’élevage industriel entraîne de la déforestation, en France comme dans d’autres pays, partout où sont produits les aliments pour le bétail. Dès lors, ce modèle agricole a un rôle majeur dans le réchauffement climatique : à l’échelle mondiale, il produit 14,5% des gaz à effets de serre, soit autant que le secteur du transport6. Quant à la dégradation de l’eau, qu’il gaspille, et à la destruction de la biodiversité, elles sont causées par l’utilisation de pesticides, d’antibiotiques et de bien d’autres polluants propres à l’industrialisation de l’élevage.
Enfin, comment parler des élevages intensifs sans aborder la condition animale ? Environ 8 animaux sur 10 sont élevés dans ce type d’établissement(7), dans des conditions absolument indignes. Ces cochons, ces vaches, ces lapins, ces poules sont entassés dans des espaces qui ne répondent nullement à leurs besoins biologiques, sans jamais avoir accès ni à l’herbe, ni à la lumière du jour. Après une courte vie de souffrances, les animaux des élevages industriels sont ensuite transportés les uns contre les autres, bien souvent durant de longues heures, vers l’abattoir où leur vie prend fin aussi cruellement qu’elle n’a commencé. D’un point de vue éthique et moral, l’humanité se doit de mettre un terme à cette fabrique de l’horreur. La marchandisation de l’animal n’a pas sa place au sein d’une civilisation dite évoluée.
Le programme de la REV est clair, il s’agit de mettre fin, à terme, à toute forme d’élevage. Nous l’assumons. Pour autant, nous sommes lucides sur le fait que cet horizon lointain doit être précédé d’étapes de transition. La fermeture des fermes-usines en fait partie, et fait d’ailleurs l’objet d’une volonté massive de la population. Selon un sondage de l’IFOP et de 30 Millions d’Amis en 2021, 85% des Français se disent favorables à l’interdiction des élevages intensifs. Cette mesure est un projet réaliste qui répond à une demande que les autorités ne peuvent plus ignorer.
Pour faire face aux différentes crises que nous traversons, lutter à la fois contre la précarité des agriculteurs, les risques sanitaires, le réchauffement climatique, la dégradation de la planète et les mauvais traitements envers les animaux, la France doit agir. Alors que le président de la République s’apprête à visiter le Salon de l’Agriculture, haut-symbole de l’industrialisation de l’élevage et des lobbies de l’agro-alimentaire, nous l’interpellons sur une question majeure. Son gouvernement doit mettre fin à l’une des plus grandes aberrations de notre siècle.
Victor Pailhac et Azelma Sigaux,
coordinateurs de la Révolution Écologique pour le Vivant
(1) INSEE 2019
(2) Ministère de l’Agriculture
(3) INSEE 2022
(4) IPBES 2020
(5) IPBES 2020
(6) Greenpeace
(7) L214