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Billet de blog 1 février 2012

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La méthode Yan Thomas

Alors qu’aujourd’hui, pour certains, l’utilisation des droits populaires en Suisse devrait être restreinte au nom d’une forme de cohérence juridique et de hiérarchisation du droit, il est dépaysant de constater qu’il y a deux millénaires, à Rome, « pour expliquer les changements d’une loi à l’autre, on énonce le principe du droit du peuple à changer d’avis. »

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Alors qu’aujourd’hui, pour certains, l’utilisation des droits populaires en Suisse devrait être restreinte au nom d’une forme de cohérence juridique et de hiérarchisation du droit, il est dépaysant de constater qu’il y a deux millénaires, à Rome, « pour expliquer les changements d’une loi à l’autre, on énonce le principe du droit du peuple à changer d’avis. »

A vrai dire, l’étude du droit romain, telle que pratiquée par le regretté Yan Thomas, prématurément disparu en 2008, propose des ressources insoupçonnées pour penser notre époque, ses formes juridiques et politiques. Il en va ainsi des grandes contributions à la science sociale et historique qu’elles peuvent porter sur des sujets a priori marginaux ou semblablement éloignés. La casuistique de Thomas a ceci de merveilleux qu’elle nous transporte en imagination au cœur de problèmes particulièrement concrets mais dont les résolutions juridiques, à l’époque romaine puis médiévale, fournissent tantôt les fondements d’une structure normative qui nous enrobe encore, tantôt la possibilité disparue d’un autre ordre juridique.

La sélection d’articles de Thomas, édités et utilement présentés par Marie-Angèle Hermitte et Paolo Napoli (disposant de surcroît d’un remarquable index établi par Arnaud Paturet), vise à rendre accessible une œuvre importante, mais méconnue, puisqu’elle s’est généralement inscrite dans des revues spécialisées plutôt que dans des ouvrages. Le choix opéré dans ce premier volume (d’autres sont en chantier) illustre essentiellement la méthode de Thomas ainsi que son approche résolument constructiviste, nominaliste et matérialiste du droit. A l’exposé des principes généraux, il a substitué une visite de la fabrique du droit, de ses « opérations », telle qu’elle s’est pratiquée par l’étude des cas « limites » des problèmes posés au droit, et de leur résolution hautement originale dans le droit romain et médiéval. Ce volume propose notamment une étude fascinante de la « fiction » juridique, et plusieurs articles qui posent le problème de l’« institution », à commencer, de manière peut-être surprenante pour d’aucuns, par l’institution de la nature elle-même ! Car pour les juristes Romains, le droit procède d’une institution politique et non de la nature qu’il s’agirait de suivre dans la production normative. Et la nature elle-même n’échappe pas à cette institution, ce qui, d’ailleurs, donne un fondement purement social à la propriété qui doit elle aussi être instituée. Cette analyse pousse d’ailleurs à une reconceptualisation du rapport entre droit et fait, dans un sens qui acquiert une véritable pertinence contemporaine, tel que Thomas le démontre dans l’article conclusif qui traite du rapport entre le juge et l’historien dans l’affaire Papon. 

Il s’agit donc d’un de ces ouvrages rares qui donnent à son lecteur accès à un monde dont il ne soupçonnait pas nécessairement la nature et lui permettent de transformer non seulement ses connaissances, mais également sa manière même d’envisager les problèmes. Qu’au surplus l’écriture de Thomas soit agréable, et que le livre soit fort bien édité ne gâche rien.

Romain Felli 

Yan Thomas, Les opérations du droit, coll. Hautes études, Ehess Gallimard et Seuil, Paris, 2011.

Compte-rendu publie dans le quotidien suisse Le Temps

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