rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

41 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 décembre 2011

rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

De Kyoto à Durban, le marché triomphe

Cette semaine, s'est ouverte à Durban, en Afrique du Sud, la 17e Conférence des parties du protocole de Kyoto sur le changement climatique. Il est bien loin le temps où l'on pouvait encore croire qu'une action internationale, certes balbutiante mais ne demandant qu'à se renforcer, allait pouvoir limiter la production de gaz à effet de serre et éloigner la menace d'un dangereux réchauffement climatique.

rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette semaine, s'est ouverte à Durban, en Afrique du Sud, la 17e Conférence des parties du protocole de Kyoto sur le changement climatique. Il est bien loin le temps où l'on pouvait encore croire qu'une action internationale, certes balbutiante mais ne demandant qu'à se renforcer, allait pouvoir limiter la production de gaz à effet de serre et éloigner la menace d'un dangereux réchauffement climatique.

Les conférences internationales se succèdent et, à chaque fois, la réalité du capitalisme s'y révèle de manière plus claire. Il faudrait d'une part diminuer drastiquement à l'échelle mondiale la production de gaz à effet de serre, et d'autre part transférer massivement des moyens financiers et techniques au pays du Sud pour leur permettre de faire face aux conséquences combinées de la pauvreté et de la dégradation de l'environnement. Mais les grands Etats n'arrivent qu'à se mettre d'accord pour repousser à plus tard des objectifs de réduction déjà peu contraignants, et rivalisent de promesses vides en matière de financement de l'adaptation au changement climatique.

Ces conférences sont devenues des Armes de Détournement Massif de l'opinion. Leur seul but semble être de justifier l'inaction de chacun des Etats en leur permettant de rejeter la faute sur les autres: «nous voudrions bien prendre quelques mesures, mais comprenez-nous, si la Chine (ou les Etats-Unis, ou l'Inde, ou le Brésil, ou etc., à vous de choisir le coupable...) ne fait rien et que nous sommes les seuls à limiter nos émissions, alors notre compétitivité en sera compromise...». Ah, la compétitivité... L'accumulation du capital ne doit surtout pas être contestée, quitte à détruire ce qui reste d'environnement vivable.

Inutile alors ces conférences sur le climat? Non, car elles auront en tout cas permis d'avoir rendu incontournable le marché comme instrument de politique environnementale: marché de permis de polluer, et marchés de compensations carbones.

Leur fonctionnement est compliqué, mais leur principe est simple. Les Etats allouent (soient de manière administrative, soit au travers d'enchères) des permis de polluer que les entreprises doivent acheter pour pouvoir émettre des gaz à effet de serre. Celles qui émettent plus que la moyenne doivent acheter des permis supplémentaires, et celles qui émettent moins peuvent vendre leurs permis excédentaires. De surcroît, des permis supplémentaires peuvent être mis sur le marché des pays du Nord, à condition de «produire» des réductions d'émission ailleurs dans le monde, c'est-à-dire dans les pays du Sud, par exemple sous la forme de plantation de forêts sensées être des «puits de carbone».

La gauche a souvent produit une critique «morale» de ces instruments de marché, en leur reprochant, d'une part, de «marchandiser» la nature, c'est-à-dire de mettre un prix sur quelque chose qui ne devrait pas en avoir (la Terre, l'atmosphère, etc.), d'autre part, en soulignant qu'il s'agissait d'un moyen pour les pollueurs d'acheter le droit de continuer à polluer, notamment en produisant une forme de néo-colonialisme. Que ces instruments de marché conduisent de surcroît à une spéculation effrénée, sous la forme notamment de produits dérivés, renforce encore les condamnations qu'ils suscitent.

Mais ce serait rater l'essentiel que d'en rester à ces critiques-là. En donnant au marché le pouvoir de répartir les permis de polluer, en fonction de la capacité de payer, les Etats dépolitisent la politique environnementale. Une politique par laquelle les Etats, explicitement, décideraient d'allouer des quotas de pollution pour certaines industries signifierait une intervention extrêmement visible de la politique dans le fonctionnement soi-disant autonome des marchés. En décidant politiquement quelles productions mériteraient qu'on leur alloue des droits de polluer, et quelles productions ne devraient, dans le fond, pas exister, les Etats mettraient en place de facto une planification économique et écologique. Celle-ci serait directement politique, et potentiellement démocratique. Imaginez un monde où nous pourrions démocratiquement décider de réduire les permis alloués à l'industrie automobile et de supprimer ceux utilisés par l'industrie d'armement!

Par le biais de la politique environnementale, nous pourrions obtenir une véritable démocratie économique et écologique. Le risque est bien trop grand pour les capitalistes! Gageons donc que quels que soient les résultats des négociations de Durban et des conférences à venir, un seul élément survivra dans la politique environnementale internationale: le règne des marchés, contre le pouvoir de la démocratie.

Romain Felli

Chronique parue le 1er décembre 2011 dans le quotidien suisse Le Courrier

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.