La scandaleuse décision de Novartis de licencier collectivement plus d'un millier de salarié-e-s à Nyon et dans la région bâloise est l'occasion de reformuler la demande d'une interdiction des licenciements pour les entreprises qui font du bénéfice. Assurément, une telle mesure s'impose et il est bon qu'à gauche ce soit une réponse envisagée, notamment par le Parti socialiste vaudois.
Mais si nous réfléchissons à plus long terme, il est indispensable de se demander quelles institutions la gauche socialiste peut créer pour véritablement opposer une résistance au pouvoir capitaliste.
Il faudrait commencer par cesser de considérer que les entreprises (les «unités de production») appartiennent à leurs actionnaires. Evidemment, l'essentiel du système juridique et de la théorie économique libérale repose sur cette idée que la possession du capital donne le droit à son détenteur de décider librement de son utilisation productive. Mais quiconque regarde concrètement ce qui se passe dans une entreprise voit bien qu'elle est composée de plusieurs parties prenantes. Les travailleuses et travailleurs, qui produisent la richesse économique, sont l'âme (et les muscles) de l'unité de production. Il convient ensuite de considérer l'environnement régional, les collectivités publiques (Etat, cantons, communes) qui fournissent les conditions dans lesquelles l'activité économique est possible (infrastructures, formation, recherche, sécurité, services de promotion économique...) mais plus généralement encore assurent la «reproduction» de la force de travail. Ce dernier point est particulièrement visible en cas de licenciement: c'est la collectivité qui en assure les «coûts» (indemnités de chômage, requalification des employé-e-s, etc.).
Cette inscription des unités de production dans un contexte social et politique doit être valorisée plus qu'aujourd'hui, au détriment du pouvoir des détenteurs de capitaux. Les décisions économiques doivent devenir collectives et être prises par les personnes concernées, pas seulement par les actionnaires et leurs managers.
Pour obtenir une telle démocratisation, il est indispensable de constituer des contre-pouvoirs. Les syndicats sont la manière dont les salarié-e-s s'organisent pour ne pas être totalement à la merci du capital. Mais sur le moyen terme, il est nécessaire de créer des réponses politiques et collectives.
La gauche devrait réfléchir à instaurer des «commissions économiques régionales» qui seraient élues et représenteraient, d'une part, les travailleurs et travailleuses et leurs organisations syndicales, d'autre part, la population régionale et les collectivités publiques. Le rôle central de ces commissions serait d'assurer un contrôle démocratique sur l'investissement afin d'assurer le plein emploi et une transformation écologique de l'économie.
D'une part, elles devraient avoir un droit de regard sur les décisions d'investissement privées prises dans leur juridiction. Elles pourraient, notamment, être l'organe qui examinerait et autoriserait (ou interdirait) les licenciements collectifs. Elles pourraient également évaluer les décisions d'investissement suivant des critères écologiques et sociaux.
D'autre part, elles devraient disposer de ressources propres qui leur permettent de procéder à des décisions d'investissement, soit en mettant à disposition du crédit pour les petites et moyennes entreprises, soit en investissant elles-mêmes, par exemple dans la construction de logements, ou dans la production d'énergies alternatives. Elles seraient ainsi le lieu de débat collectif et démocratique sur les priorités du développement régional et de la manière d'y parvenir. Et cette organisation démocratisée du développement régional nous semble constituer la seule alternative viable à une croissance économique fondée sur le profit, sans borne, et destructrice de la planète et de ses habitant-e-s.
Ces commissions, bien sûr, ne pourraient fonctionner que pour autant que se développe en même temps la conscience de la population de pouvoir participer aux décisions économiques et la capacité des travailleuses et travailleurs de pouvoir gérer leurs unités de production. Et, à terme, ces commissions devraient être coordonnées à d'autres niveaux décisionnels.
Le chômage n'est pas une fatalité, ni une nécessité économique. Interdire les licenciements est une proposition essentielle, mais elle ne sera vraiment satisfaite que dans le cadre d'un rapport de force différent. La gauche doit construire ce rapport de force. Nous ne pouvons plus simplement réparer les dégâts du capitalisme, nous devons proposer des alternatives socialistes.
Chronique publiée dans le quotidien Le Courrier