On parle de temps «libre» à propos des vacances. Mais libre de quoi? Libre de travail. Comprenons nous bien. Le «travail» dont il s'agit d'être libéré est celui que nous ne contrôlons pas, ou si peu. C'est celui que nous sommes obligés de fournir lorsque nous vendons notre force de travail en échange d'un salaire.
La plupart d'entre nous ne vivons pas en esclavage. Mais nous savons bien que si notre force de travail n'est pas achetée (situation de chômage), ou si le travail vendu n'est pas fourni, alors de graves ennuis nous attendent. Nous faisons partie de la classe des salariés qui, pour vivre, doit obligatoirement vendre son travail à autrui. Et lorsque cette force de travail est achetée, nous abandonnons une partie, plus ou moins importante, de notre liberté. Le but auquel notre travail est employé ne correspond pas toujours à ce que nous souhaiterions, et la manière dont le travail doit être accompli semble rarement rationnelle, parfois inefficace, souvent injuste.
C'est pourquoi depuis près de deux siècles les socialistes s'organisent et se battent pour faire diminuer ce que Marx appelle le «domaine de la nécessité», l'obligation de vendre notre force de travail, au profit du «royaume de la liberté». Cette liberté est double.
Premièrement, elle se compose de tout le temps non travaillé, qui a pu être arraché au patronat: la limitation de la durée de la journée de travail, les congés obligatoires et payés, les vacances, les temps de pause, ces instants qui sont grignotés durant la journée de travail, sans oublier le temps de l'éducation et celui de la retraite. Bref, la liberté est composée de tous ces moments durant lesquels nous retrouvons, même partiellement, une capacité de décider comment nous employons notre temps, comment nous menons notre vie.
Deuxièmement, la liberté peut être, partiellement, reconquise durant le temps même du travail lorsque nous obtenons notre mot à dire sur les buts et l'organisation du travail. C'est cela la démocratie économique. Elle peut prendre de nombreuses formes, de l'autogestion jusqu'au système des coopératives, dans lequel, normalement, il n'y a pas de patrons. Mais ne nous leurrons pas, tant que l'organisation générale de l'économie reste centrée sur le marché, même les unités de production les plus démocratiques ne sont pas libres de choisir elles-mêmes leurs buts, qui sont imposés par la recherche du profit. Il faudra reposer de manière sérieuse et informée par les expériences historiques la question de la planification démocratique de l'économie. Bien peu de gens, à gauche, semblent prêts à le faire. Passons.
Au fait, pourquoi le temps libre, par exemple celui des vacances, est-il si important? Pour se reposer bien sûr, et être capables de vendre à nouveau notre force de travail reconstituée l'an prochain... Mais le temps libre, pour celui ou celle qui veut changer l'ordre actuel des choses, c'est d'abord le temps politique. Pas de politique, pas de syndicalisme, pas de militantisme, pas de discussions ni de réflexions, sans temps libre.
Le temps libre c'est aussi celui que nous pouvons consacrer à notre développement, à nos projets, à nous cultiver, à paresser, à flâner, à notre expression artistique, à nos amis, à nos proches, à celles et ceux qui sont dépendant-e-s, ... bref, à tout ce qui rend une vie pleinement humaine. Mais nous devons nous battre contre la colonisation de notre temps libre par le travail (ah! le téléphone portable, les courriers électroniques, et les dossiers en retard...). Profiter du temps libre, c'est lutter contre l'emprise du travail sur nos vies et faire déjà, un peu, advenir le royaume de la liberté.
Bonnes vacances!
Chronique "Un monde à gagner", publiée dans le quotidien suisse Le Courrier du 15 juillet 2011