Il y a environ une année, le Parti socialiste suisse, réuni en congrès à Lausanne, débattait et adoptait son nouveau programme politique, une opération importante, réalisée tous les vingt-cinq ans environ.
La présente chronique pourrait tenter de faire le bilan de l'action du PSS à partir de ce nouveau programme de gauche, organisé autour de la notion de «démocratie économique» (dépassement du capitalisme, nationalisations, suppression de l'armée,...). Du fait que l'appareil dirigeant du parti a très vite essayé de se distancier de ce programme plutôt que de chercher à l'expliquer et à l'appliquer, un tel bilan serait un peu décevant. De surcroît, mon camarade Willy Spieler a parfaitement décrit la situation dans un article au titre ravageur: «La gauche embarrassée par un programme de gauche».
Qu'on me permette donc de revenir sur une considération plus personnelle. Dans le cadre des séances de préparation au congrès, avec les camarades du PS vaudois et du PS Lausanne, j'avais proposé, comme amendement, l'introduction du paragraphe suivant visant à préciser la notion de «démocratie économique»:
«La finance est un élément crucial d'une démocratie économique. Elle est le lieu où se décide l'allocation des ressources pour l'investissement et, à ce titre, le fondement de toutes les possibilités de développement. Une tâche aussi stratégique doit être soumise au contrôle politique. Il convient donc de socialiser les banques et le système financier afin de les mettre au service de la politique économique démocratiquement décidée. Dans l'intervalle, un accroissement du contrôle du système financier actuel est absolument indispensable.»
Cet amendement n'a pas passé le cap des discussions préliminaires et a été retiré avant même le congrès. On m'a convaincu alors qu'il était totalement irréaliste et ne serait soutenu par personne. Une année et demi plus tard, si c'était à refaire, je le maintiendrais.
Alors que la crise financière et économique globale ne fait que de s'accroître, et alors que la crise écologique et climatique s'intensifie chaque jour davantage, il devient de plus en plus clair que nous devons arriver rapidement à reprendre le contrôle, politiquement et démocratiquement, sur les grandes décisions financières qui affectent nos vies quotidiennes. Techniquement, la nationalisation des banques est possible. On l'a bien vu lorsqu'il s'est agi de les «sauver»...
Quand des agences de notation financière sont investies (par des gouvernements complaisants) du pouvoir d'évaluer la politique économique de certains pays et de contribuer à y instaurer des «cures d'austérité», n'y a-t-il pas un renversement hallucinant du sens commun? Quand un seul «trader» peut faire perdre à la principale banque du pays deux milliards de francs, une somme qui permettrait de construire des milliers de logement ou de nourrir des millions de personnes, comment ne pas comprendre qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du capitalisme?
Croit-on -espère-t-on?- vraiment que l'investissement privé sera suffisant pour organiser le strict minimum d'une politique climatique sérieuse, telle que la rénovation énergétique des bâtiments et le développement du service public de transport? Croit-on -espère-t-on?- vraiment que les investisseurs vont spontanément cesser de placer leurs capitaux dans la production de marchandises inutiles et nocives mais qui pourtant leur rapportent? Comment organiser la nécessaire décroissance de la production de stupidités et de gâchis, tout en assurant la satisfaction des besoins de la population, en particulier dans les pays du Sud?
Il n'y a bien sûr pas de réponse unique à ces questions. Mais il est de plus en plus évident que, pour une gauche qui veut mettre en œuvre un programme de transition économique, social et écologique, le contrôle public -et surtout démocratique- sur l'investissement est une étape nécessaire, car il permet d'organiser la mise en œuvre des priorités économiques décidées politiquement.
Selon les termes de la vieille plaisanterie, il va falloir choisir: «la bourse, ou la vie?».
Romain Felli
Chronique publiee dans le quotidien suisse Le Courrier