La conférence des Nations Unies sur le climat s'est terminée sur des résultats décevants. Les syndicats y étaient représentés, car les défis du changement climatique auront des conséquences sur le monde du travail et les emplois. Le point sur les enjeux et sur les revendications syndicales de reconversion écologique de l'économie qui nécessitent un changement radical du système.
Le nouvel échec des négociations internationales sur le climat, qui se sont tenues à Durban la semaine dernière, peut sembler être une question secondaire pour les syndicats. Pourtant, depuis 2007, une délégation syndicale assiste officiellement, en tant qu'observatrice, aux négociations internationales sur le changement climatique. Cette année à Durban, environ 200 syndicalistes, de tous les pays du monde étaient présents et ont tenté de faire pression sur les gouvernements afin d'inclure les demandes syndicales au sein des négociations.
Historiquement, les syndicats n'ont pas toujours eu de position commune sur ces questions. Suivant qu'ils représentent des travailleuses et des travailleurs dans les pays du Sud ou du Nord, dans des industries très polluantes ou dans des secteurs « verts », suivant leur vision du syndicalisme également, les demandes syndicales ont pu être assez divergentes. Néanmoins depuis quelques années, au sein des Secrétariats professionnels internationaux (par exemple l'Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois, à laquelle Unia est affiliée) et au sein de la Confédération syndicale internationale (CSI) qui regroupe la plupart des centrales syndicales dans le monde (y compris l'USS), on essaie de définir une position commune qui représente les demandes des travailleuses et des travailleurs du monde entier.
Actuellement, la CSI demande un accord international, légalement contraignant qui amène des réductions importantes de gaz à effet de serre, nécessaires pour que la température à l'échelle de la planète n'augmente pas de plus de 2°C. Pour cela il faudra développer certains secteurs (les transports publics, la rénovation des bâtiments, les énergies renouvelables, etc.) qui peuvent créer de nombreux emplois. En même temps, certains secteurs ou certains types de production devront décroître. Des emplois vont donc disparaître. Pour les syndicats, l'enjeu est donc de s'assurer que la transition à une économie qui émette peu de gaz à effet de serre, une économie à « bas carbone », se fasse de manière juste (cf. Interview ci-dessous).
Avec la crise économique mondiale, de nombreux syndicats de par le monde voient la nécessité de passer à une économie à bas carbone comme une chance extraordinaire de créer de nombreux emplois, des « emplois verts » ou des « emplois climatiques » dans ces nouveaux secteurs. En Grande-Bretagne ou en Afrique du Sud, par exemple, les syndicats en coalition avec les associations de protection de l'environnement ont lancé une campagne pour créer « un million d'emplois climatiques ». Et en Allemagne, près de deux millions d'emplois ont d'ores et déjà été créés. Mais d'après eux, pour résorber le chômage tout en réduisant les gaz à effet de serre il faut une intervention publique massive. L'Etat doit investir dans ces secteurs et les développer, mais aussi assurer la formation professionnelle des travailleuses et travailleurs pour ces nouveaux secteurs. Dans de nombreux de pays, il est même nécessaire que l'Etat reprenne le contrôle public sur les ressources naturelles et sur les infrastructures, notamment pour la production d'énergie.
La lutte contre le changement climatique exige une transformation radicale du système économique, des rapports de production et de consommation. Pour les syndicats, la transition à une économie plus juste et plus écologique ne pourra se faire qu'au moyen de la mobilisation des travailleuses et des travailleurs.
Romain Felli
Anabella Rosemberg est en charge de la politique de santé au travail et de l'environnement à la CSI. Elle coordonne le travail de la délégation syndicale au sein des négociations internationales sur le changement climatique. Interview
Pourquoi la CSI a-t-elle décidé de faire du changement climatique une priorité syndicale ?
Le changement climatique est d'abord une question de solidarité internationale, de justice entre le Nord et le Sud, mais aussi au sein de chaque pays. Par ailleurs, la crise climatique est liée à la crise du modèle économique dominant que nous critiquons en tant que syndicats. Nous ne pouvons pas ignorer les conséquences négatives pour l'environnement de ce modèle, qui se traduisent déjà par des souffrances dans les pays du Sud et ailleurs dans le monde.
Egalement, le changement climatique est un des rares sujets véritablement « mondiaux » nécessitant une action collective. Ceci donne à la CSI la possibilité d'organiser un mouvement mondial, ce qui est le but du syndicalisme international.
Les syndicats dans chaque pays suivent-ils la CSI sur ses positions ?
Notre position est forte et ambitieuse, elle demande des importantes réductions de gaz à effet de serre. Elle tire vers le haut les affiliés nationaux. Mais il faut reconnaître qu'il y a encore une certaine distance entre nos positions et ce qui se passe dans chaque pays. Nous devons maintenant travailler avec chacun de nos affiliés pour que la position de la CSI soit traduite dans les politiques climatiques nationales, en fonction des besoins de chaque pays, bien sûr ! C'est un nouveau défi, car traditionnellement la CSI n'intervient pas dans les politiques nationales.
Justement, que peuvent et que devraient faire les syndicats dans chaque pays ?
Tout d'abord, s'exprimer ! Il faut produire une réflexion et une critique sur le système économique actuel, ses conséquences sur les gens et sur la Planète. Et surtout, nous devons présenter des politiques économiques alternatives qui amènent non seulement la justice sociale et la redistribution des richesses, mais aussi la protection de l'environnement. C'est une question de solidarité internationale, et de solidarité entre les générations.
Pour cela, il faut comprendre les enjeux, mais aussi les impacts du changement climatique. Il faut être honnête avec nos membres. Si nous voulons changer de modèle productif, cela signifie que certains secteurs vont devoir diminuer, ce qui signifie des pertes d'emploi, et que d'autres vont émerger, et vont donc créer de nouveaux emplois. La vraie question est donc de savoir si nous allons être des acteurs de ces changements ou des agents passifs qui subiront les décisions prises par d'autres.
Le mouvement syndical ne peut pas rester isolé sur ce sujet, nous devons nouer des alliances, par exemple avec les associations environnementales, mais pourquoi pas également avec les acteurs de l'économie sociale et solidaire. Surtout, nous devons mettre la pression sur nos gouvernements !
Dans les négociations précédentes, les syndicats ont obtenu l'introduction de la notion de « transition juste ». Que signifie-t-elle?
Comme des réductions importantes de gaz à effet de serre risquent de détruire certains emplois, nous avons voulu définir précisément les conditions auxquelles nous soutenons ces réductions. Nous voulons faire en sorte que la manière dont se passe la transition à une économie à bas carbone, soit « juste » pour les travailleuses et les travailleurs.
Concrètement, cela signifie revenir à une véritable planification économique et sociale de l'économie afin que les travailleurs soit accompagnés tout au long de cette transition, et qu'ils puissent être des agent actifs dans la transformation de nos sociétés.
Et quels sont les principes de cette transition juste?
Il y a cinq principes généraux, au niveau international, qui doivent être traduits de manière plus concrète selon les besoins et la volonté de chaque mouvement syndical national.
Premièrement, nous devons obtenir des investissements « durables », dans des secteurs verts (énergies renouvelables, transports publics, isolation des bâtiments, etc.), qui créent des emplois bons pour l'environnement et bons pour les travailleurs.
Deuxièmement, il faut renforcer la formation professionnelle pour que les travailleurs ne soient pas livrés à eux-mêmes pendant ces transformations. Malheureusement les politiques d'austérité en Europe aujourd'hui vont exactement à l'inverse de ça.
Troisièmement, les syndicats doivent développer leurs connaissances et la recherche sur ce que signifie une économie à bas carbone, notamment en terme d'emplois.
Quatrièmement, il faut renforcer la protection et les assurances sociales qui sont cruciales pour faire face aux conséquences du changement climatique. N'oublions pas qu'aujourd'hui dans le monde, les pays où la protection sociale existe sont les exceptions plutôt que la règle ! Dans les pays où cela a un sens, le dialogue social peut permettre à court terme de trouver des arbitrages pour la transition, mais il faut aussi reconnaître ses limites.
Finalement, nous ne devons pas négliger la dimension locale et géographique des pertes et des gains d'emplois. La plupart des transformations économiques prendront place dans des territoires régionaux qui n'ont pas nécessairement à eux seuls les moyens de développer des alternatives et de mobiliser l'investissement industriel.
Avec le ralentissement, voire l'échec, des négociations internationales, quel avenir vois-tu pour les mobilisations syndicales sur le changement climatique, après Durban ?
Pour être honnête, c'est un vrai défi. Ces dernières années, on a construit nos mobilisations autour de ces négociations. Ca a été utile pour faire grandir notre mouvement. Mais aujourd'hui, la question de la poursuite de la mobilisation, en dépit des échecs internationaux, se pose. Je suis tout de même optimiste. On voit aujourd'hui la possibilité d'une véritable transformation économique de la société, et des liens se créent avec d'autres mobilisations sociales. Les syndicats peuvent traduire ces débats à une échelle beaucoup plus humaine, proche des travailleuses et des travailleurs. Nous ne sommes qu'au début d'un mouvement beaucoup plus grand.
Propos recueillis par Romain Felli - Durban 2 décembre 2011
Article paru dans l'Evenement syndical, n°51-52, 21 décembre 2011