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Billet de blog 12 mai 2011

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Ecologie: Planifier démocratiquement des limites

La crise écologique, ou plutôt les crises écologiques contemporaines sont d'abord des crises démocratiques, c'est-à-dire des crises découlant d'un manque de démocratie.

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La crise écologique, ou plutôt les crises écologiques contemporaines sont d'abord des crises démocratiques, c'est-à-dire des crises découlant d'un manque de démocratie.

L'impossibilité actuelle de l'autolimitation n'est pas à chercher, comme le voudraient certains anti-démocrates, dans les passions matérielles illimitées de la populace[1], mais dans l'organisation des rapports sociaux dans le capitalisme. Autrement dit, pour mener une politique écologique, nous devons réfléchir à la manière dont nous pourrions nous autolimiter, collectivement et démocratiquement, afin d'organiser des rapport socio-écologiques autonomes et durables.

La nature du problème

Ainsi posé, le problème est immédiatement politique : pourquoi la société contemporaine est-t-elle orientée vers une croissance perpétuelle, vers une utilisation grandissante des ressources naturelles et un accroissement des pollutions ? Cette orientation découle-t-elle véritablement de décisions politiques démocratiques, ou est-elle le résultat de rapports sociaux qui oublient leur nécessaire inscription écologique ? Si c'est bien la seconde réponse qui est la bonne, il faut immédiatement la compléter en soulignant que cet « oubli » n'est pas fortuit mais découle de la nature même du capitalisme. En procédant à une valorisation économique indépendante de la satisfaction des besoins humains, le capitalisme fonctionne par des processus permanents d'abstraction lui permettant de voiler la nécessaire inscription de la production de richesse sociale dans l'exploitation de la Terre et du travail humain.

C'est ainsi l'accumulation perpétuelle de valeur, dictée par l'organisation capitaliste de la production, qui détermine le type de trajectoire économique insoutenable caractérisant la société contemporaine. C'est à ce niveau politique que doit agir une écologie conséquente.[2] Le but des tenants d'une écologie politique doit être de reconstituer un mouvement d'émancipation doté de capacités démocratiques et qui avance ses revendications et ses luttes à la fois sur le plan local, le plan national et le plan international.[3] A cet égard, il est impérieux de développer le travail politique et syndical, c'est-à-dire de constituer ou de reconstituer des alliances fortes entre le mouvement écologique et le mouvement syndical, qui contestent frontalement l'organisation capitaliste de nos sociétés.[4]

A notre sens, seul un mouvement politique anticapitaliste peut véritablement produire des avancées en faveur d'une autolimitation politiquement décidée de la production et d'une réorganisation égalitaire de la consommation. C'est la condition nécessaire d'une politique écologique qui ne viennent pas buter contre les limites naturelles, mais qui organise son autolimitation.

Planifier démocratiquement l'économie

Partant, la meilleure manière de décider et d'imposer démocratiquement de telles limitations, réside dans la planification démocratique de l'économie.[5] La planification a mauvaise presse, et l'échec du modèle soviétique signerait, entend-t-on, son échec définitif. Il s'agit là d'un véritable problème, mais dont il faut immédiatement corriger certains attendus.

L'URSS et ses états satellites, de même que les régimes dit « socialistes » qui se sont inspirés de son modèle d'organisation économique, se sont révélés être des formes de dictatures bureaucratiques. Dans ces régimes, une élite s'est constituée et a accaparé le pouvoir à son profit. Dès lors, l'organisation centralisée de la production organisée selon le modèle du plan relevait non pas de la planification démocratique, mais d'une forme autoritaire de planification, centralisant le pouvoir dans les mains d'un petit nombre et dont les objectifs ne visaient fondamentalement ni à la satisfaction des besoins sociaux, ni à une gestion rationnelle des ressources, mais plutôt à la perpétuation du pouvoir de la bureaucratie qui passait, notamment, par l'accumulation de productions militaires : une espèce d'économie de guerre permanente.[6]

Une planification démocratique partirait, à l'inverse, des besoins de la population, exprimés au travers de débats et de votes. Il s'agirait à un niveau très général, par exemple celui d'un pays (mais pourquoi pas, un jour, de la planète), de décider des droits fondamentaux qui devraient être fournis à chacune et chacun (accès à l'eau, à la santé, à l'éducation, à un logement, etc.) et des moyens de les mettre en œuvre. Nous devons pouvoir décider collectivement que produire, oùet comment. C'est à ce niveau que des limites absolues dans l'utilisation des ressources pourrait être fixées, en tenant compte notamment, des besoins de la production, des stocks disponibles des ressources, de leur taux de renouvellement ou de leur remplacement potentiel. Ces limites seraient révisables, là encore, selon des procédures démocratiques, en fonction de l'évolution des connaissances, mais aussi des besoins et des envies de la population.

Il existe de nombreuses propositions d'organisation de la production dans une économie planifiée, qui laissent une marge de manœuvre plus ou moins grande au marché, comme dans le modèle de socialisme de marché[7], ou dans celui de l'économie « participaliste ».[8] Par exemple, la production pourrait s'organiser à un niveau intermédiaire, dans des unités gérées démocratiquement de manière tripartite : une représentation des travailleuses et travailleurs, une représentation des consommatrices et des consommateurs, et une représentation des citoyennes et des citoyens. Ce niveau intermédiaire, néanmoins, ne pourrait mettre en œuvre des moyens de production (ressources naturelles et machines) que dans les limites fixées par le niveau supérieur.

Comme le contre-modèle soviétique en témoigne, il serait faux d'identifier la planification démocratique à la simple étatisation de la production. L'Etat comme lieu de condensation du pouvoir reste un enjeu central dans les luttes émancipatrices et ne peut simplement pas être nié ou contourné[9]. Mais il est nécessaire de se battre au sein de l'Etat afin de le démocratiser au maximum et de le mettre, le plus possible, au service des objectifs écologiques et sociaux[10].

Partir de l'existant pour organiser la transition

Un tel programme, exprimé de manière abstraite, peut séduire ou faire peur. Mais avant de tout rejeter en bloc, réfléchissons au fait que dans nos économies mixtes, il n'existe nullement de « purs » marchés. Déjà, grâce aux conquêtes du mouvement ouvrier en particulier, en malgré les contre-réformes mises en œuvre depuis une trentaine d'années, de nombreux droits se traduisent par la fourniture de biens ou de services, en dehors du marché. L'éducation par exemple, correspond largement à un secteur économique planifié de manière relativement démocratique: les citoyennes et citoyens, par le biais de leurs représentants parlementaires, ou directement, décident du type de service qui doit être fourni de manière universelle, sans conditions de ressources. Les producteurs (les enseignant-e-s) et les « consommateurs » (les élèves et les adultes qui en sont responsables) ont leur mot à dire, même si cela ne correspond, certes pas, à de l'autogestion.

Ce dont nous avons besoin, pour mettre en œuvre une transition écologique démocratique, c'est d'étendre le champ de la démocratie, c'est-à-dire de la décision politique, à des secteurs qui n'y sont pas encore soumis, et de l'approfondir là où elle existe déjà. Un élément clé dans cette transition est le contrôle de l'investissement économique. Aujourd'hui, les choix d'investissement sont essentiellement privés et correspondent à des décisions ayant pour but un accroissement du profit économique. Il est nécessaire de réorienter l'investissement, non pas en fonction de l'accroissement du profit, mais en vue de la satisfaction des besoins dans les limites de la gestion rationnelle de l'environnement, qui permette, à court terme, une décroissance de la production économique, en vue d'une répartition plus équitable des richesses, et une réduction massive du temps de travail salarié.

Pour arriver à cette transition écologique démocratique, il faut reprendre le pouvoir sur l'investissement, ce qui signifie, très concrètement, de nationaliser les banques et d'utiliser les capitaux disponibles pour des tâches urgentes de décarbonisation de l'économie qui réponde également à des besoins sociaux, par exemple dans les domaines de la mobilité et du logement.[11]

Vers l'autonomie

Certes, nous n'avons aucune garantie que la majorité ne décide de limites d'exploitation des ressources ou de pollution qui seraient dangereuse pour la santé humaine, voire qui conduirait le système économique à son échec. Mais, comme l'exprime Castoriadis : « Le point essentiel est qu'en démocratie nous n'avons pas une science de la chose politique et du bien commun, nous avons l'opinion des gens ; ces opinions s'affrontent, se discutent, s'argumentent, et puis finalement, le peuple, la collectivité, se détermine et tranche par son vote. »[12]

Ce dernier point conduit à souligner toute la nécessité de l'éducation et de la formation dans une démocratie. Contrairement à certains courants écologiques (heureusement marginaux) qui imaginent la nécessité d'une dictature de "sages", nous sommes persuadés qu'une transition écologique ne pourra pas se faire contre la majorité de la population (ou alors au prix effectivement d'une dictature) mais ne pourra réussir qu'avec l'appui de celle-ci. Il faut donc rendre le projet écologique à la fois rationnellement nécessaire, mais montrer qu'il est tout autant socialement et humainement désirable. Alors seulement des limites collectives pourront être explicitement posées et suivies plutôt que subies.

Romain Felli, publié dans Contre-Grenelle 3. Décroissance ou barbarie, Editions Golias, Villeurbanne, 2011, pp.165-170.


[1] Comme l'a magnifiquement analysé Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris, La Fabrique, 2005.

[2] Romain Felli, « Pouvoir, échelles et Etat : l'impasse localiste de l'écologie par en bas », Entropia, n°9, 2010, pp. 148-178. Cf. Daniel Tanuro, L'impossible capitalisme vert, Paris, Les empêcheurs de penser en rond/ La Découverte, 2010.

[3] Ashley Dawson, « Why we Need a Global Green New Deal », New Politics 12, n°4, 2010, pp. 88-94

[4] Sur le travail syndical écologiste, cf. Brian Mayer, Blue-Green Coalitions : Fighting for Safe Workplaces and Healthy Communities, Ithaca, ILR Press, 2009.

[5] Michael Löwy, « Eco-Socialism and Democratic Planning, » in Leo Panitch et Colin Leys (éds), Coming to Terms With Nature, Londres, Merlin Press, 2007, pp. 294-309.

[6] Cornelius, La société bureaucratique, Paris, Union générale d'éditions, 1973; Cornelius Castoriadis, Le contenu du socialisme, Paris, Union générale d'éditions, 1979

[7] Pour un aperçu des débats anglophones, cf. Bertell Ollman (éd.), Market Socialism : The Debate Among Socialists, New York, Routledge, 1998 et David McNally, Against the Market : Political Economy, Market Socialism and the Marxist Critique, Londres et New York, Verso, 1993.

[8] Michael Albert, Parecon, Life after Capitalism, Londres et New York, Verso, 2003.

[9] Leo Panitch, Renewing Socialism : Transforming Democracy, Strategy, and Imagination, Pontypool, Merlin Press Fernwood Pub, 2008.

[10] Greg Albo, « Democratic Citizenship and the Future of Public Management » in Greg Albo, David Langille, et Leo Panitch (eds.) A Different Kind of State? : Popular Power and Democratic Administration, New York, Oxford University Press, 1993, pp. 17-35.

[11] Leo Panitch, Sam Gindin, Greg Albo, In and Out of Crisis: The Global Financial Meltdown and Left Alternatives, PM Press, Spectre, 2010.

[12] Cornelius Castoriadis, « Les enjeux actuels de la démocratie » (1986), in Une société à la dérive, Paris, Seuil 2005, p.156 ; voir également Takis Fotopoulos, Vers une démocratie générale, Paris, Seuil, 2002 [1997].

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