Le philosophe Arno Münster explore l'écologie politique en compagnie d'Ernst Bloch, Hans Jonas et Günther Anders.Depuis plus de 40 ans, Arno Münster fait un patient travail de passeur, discutant notamment la philosophie critique germanophone pour un public francophone. Plus récemment, dans la lignée des travaux de son ami André Gorz, il s'est tourné vers l'élucidation théorique de l'écologie politique. Il était donc la personne la mieux placée pour fournir un éclairage pénétrant, et accessible, sur un débat qui, consciemment ou non, traverse la pensée contemporaine, en particulier en lien avec la crise écologique. Le recueil d'articles proposé traite d'auteurs tels que Hannah Arendt, Theodor Adorno, Rosa Luxemburg, Rudolf Hilferding ou Jean-Paul Sartre, mais comme son sous-titre l'indique, il est essentiellement organisé autour du triptyque composé d'Ernst Bloch, Hans Jonas et Günther Anders.
Ces deux derniers sont régulièrement mis à l'honneur dans les débats portant sur le catastrophisme associé à la crise écologique contemporaine. Le Principe Responsabilité (1979) de Jonas, élève de Heidegger, répondait jusque dans son titre au Principe Espérance (1954-1959) du philosophe marxiste de l'utopie concrète, Ernst Bloch. L'ouvrage de Jonas a généralement été reçu comme un manifeste anti-utopique, fournissant une philosophie politique adaptée à la crise de civilisation provoquée par la destruction de l'environnement. A l'inverse, les positions de Bloch, censées reposer sur une «espérance» quelque peu absurde, et conduisant à la passivité, auraient été enterrées avec la disparition d'un marxisme orthodoxe, lui-même associé à la dictature bureaucratique stalinienne.
Or, en établissant la nature des positions théoriques et politiques des uns et des autres, Münster rétablit la vérité de l'œuvre de Bloch, dont l'«espérance», loin de conduire à l'inaction, est la condition même de possibilité d'une action sur le monde. Et cette action, loin de tout prométhéisme industriel, en appelle au contraire à une nouvelle «alliance entre l'homme et la nature». Face à cette vision d'un futur possible, et conditionné par l'émancipation humaine, la philosophie jonassienne n'a guère que la menace catastrophiste à opposer, qui conduit, comme on le sait, à des positions antidémocratiques. A l'imaginaire de la catastrophe, on peut opposer avec Bloch «les rêves, les souhaits, les images-souhaits [qui stimulent] la volonté d'émancipation et de changement des hommes».
L'imaginaire écologique contemporain, sans négliger la possibilité d'une catastrophe, ne gagnerait-il pas à abandonner l'agitation des peurs du futur, au profit d'une dénonciation des injustices du présent, et de formulation des possibilités utopiques concrètes de constitution d'un monde meilleur? L'ouvrage de Münster est un guide pour qui voudrait aller dans cette direction.
Arno Münster, Principe responsabilité ou principe espérance ? Hans Jonas, Ernst Bloch, Günther Anders, Lormont (France), Le Bord de l'eau, 2010.
Romain Felli,
article publié dans le quotidien suisse Le Temps (15.6.2011)