Pas une discussion sur l’écologie, la pollution, le climat, la congestion urbaine et autres maux contemporains, sans qu’un petit malin vienne clore le débat grâce à la solution magique: «il faut appliquer le principe du pollueur-payeur!».
La beauté du principe du pollueur-payeur est qu’il peut s’appliquer à tout et donner place à une créativité sans bornes. Il y a trop de trafic au centre-ville de Genève? Appliquons le principe du pollueur-payeur et instaurons un péage urbain. Les poubelles sont pleines à Lausanne? Appliquons le principe du pollueur-payeur et instaurons une taxe poubelle. Le climat se réchauffe? Appliquons le principe du pollueur-payeur et faisons payer les droits d’émission des gaz à effet de serre (ceux qui en ont trop peuvent les revendre aux autres). Etc.
Je suis toujours très étonné de l’enthousiasme d’une grande partie de la gauche, à commencer par la plupart des Verts, devant la colonisation des politiques environnementales par le principe du pollueur-payeur. Car ce principe ne signifie pas exactement ce qu’il dit. Beaucoup le confondent avec un simple principe de réparation ou de dédommagement: celui qui a causé une pollution doit en assumer les coûts. Si je déverse accidentellement une matière dangereuse dans une rivière, je devrais être responsable de la dépollution. Cela est en effet bel et bon.
Mais le principe du pollueur-payeur signifie tout autre chose! Il signifie plutôt que celui qui paie a le droit de polluer. Dans le principe de réparation, il y a d’abord la pollution et ensuite le paiement (l’amende, le coût de la réparation, etc.). Mais dans le principe du pollueur-payeur, c’est l’inverse! Il y a d’abord le paiement, qui donne un droit à polluer, puis la pollution. Celui qui a les moyens de s’acquitter de ce paiement obtient le droit de polluer. Il s’agit en fait du principe du payeur-pollueur. A l’inverse, celui qui ne peut pas payer (son sac poubelle, ou son péage à l’entrée de la ville, ou son permis d’émission) n’a pas le droit de polluer.
Autrement dit, ce principe organise le rationnement de l’accès à la nature (aux services écosystémiques, etc.) non pas en fonction de droits, de règlements ou d’autorisations, mais en fonction de la richesse, ou plus précisément de la capacité à payer.
Que la droite libérale s’en gargarise n’est donc guère surprenant. Cela l’est d’autant moins lorsque l’on sait que ce principe a été élaboré au sein du club des pays capitalistes (OCDE) dans les années 1970 afin de répondre à la forte politisation de l’écologie qui commençait ces années-là. Le principe du pollueur payeur a été le Cheval de Troie permettant la réintroduction du marché dans les politiques environnementales.
A moins de considérer que la gauche a définitivement acté son tournant libéral, il serait nécessaire pour elle de questionner un peu ce principe. Il serait bon, donc, de chercher à diffuser une vision alternative qui se fonderait sur la réduction, la disparition, l’interdiction ou le rationnement des activités nocives, indépendamment de la capacité des pollueurs potentiels à payer une compensation. Ceci pourrait également permettre de montrer qu’entre la droite et la gauche, il n’y a pas seulement des manières différentes de gérer le même système, mais aussi des oppositions sur la nature même du système.
Romain Felli
Chronique publiée dans le quotidien Le Courrier, 17 avril 2014