Nombre d’analyses ont déjà été produites sur la globalisation et le néolibéralisme.
Parmi les plus pertinentes, figure celle du politologue Jean-François Bayart (Le gouvernement du monde, Une critique politique de la globalisation, Paris, Fayard, 2004). Il est par contre plus rare de trouver une analyse aussi réflexive et critique sous la plume d’un acteur des processus politiques et économiques contemporains. Or cette voix est aujourd’hui devenue nécessaire.
Economiste, historien, essayiste et consultant, Georges Corm a été ministre des Finances du Liban et livre régulièrement des analyses sur l’état du monde [lire son interview dans LT du 18.01.2011]. Dans cet ouvrage, Corm n’a pas de mots assez durs à l’encontre du néolibéralisme. Identifié à un nouveau totalitarisme, le néolibéralisme est présenté à la fois comme une idéologie dogmatique, marquée par un formalisme excessif et un oubli de la politique (à cet égard, le chapitre sur l’enseignement de l’économie dans les universités contemporaines est un morceau de bravoure), et une pratique politique dangereuse fondée sur la dérégulation, la financiarisation de l’économie et l’accroissement des inégalités au profit d’une petite minorité (on ne peut que recommander la partie sur le «pouvoir mondialisé»).
L’ouvrage de Corm est un plaidoyer pour une espèce de renouvellement du «bon sens» économique, formulé à partir d’une position qu’on pourrait qualifier de chrétienne de gauche et tiers-mondiste. Son analyse, très documentée, convainc de l’impasse dans laquelle se trouve le système économique actuel, de ses conséquences néfastes pour l’immense majorité de la population à l’échelle mondiale. Son appel à renforcer la redistribution économique, à contrôler les marchés, à étendre la panoplie des instruments de la politique économique, à «démondialiser» l’économie, à imaginer des alternatives, fournira des pistes à celles et ceux qui veulent sortir de cette impasse. Ainsi, malgré certaines réserves sur l’analyse (que l’on pourra combler en se référant à l’ouvrage de Bayart), on ne peut qu’en recommander sa lecture, espérant qu’il participe de la constitution d’un nouveau et nécessaire «common sense», tel que l’entendait, voilà déjà deux siècles, Thomas Paine.
Georges Corm, Le nouveau gouvernement du monde, Idéologies, structures, contre-pouvoirs, La Découverte, Paris, 2010
Romain Felli
article paru dans le quotidien suisse Le Temps, 19.1.2011