rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

41 Billets

0 Édition

Billet de blog 21 avril 2011

rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

Mémoires de luttes

La ville de Manchester, berceau de la révolution industrielle, dispose d'un remarquable Musée d'histoire populaire (People's History Museum) qui vient de rouvrir après une rénovation complète.

rfelli (avatar)

rfelli

Chercheur en science politique

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La ville de Manchester, berceau de la révolution industrielle, dispose d'un remarquable Musée d'histoire populaire (People's History Museum) qui vient de rouvrir après une rénovation complète.

--------

Conçu dans un souci visiblement pédagogique, de nombreuses activités y sont prévues pour les enfants (en anglais seulement malheureusement), mais il comblera également les adultes. Il traite de l'histoire, parfois sanglante, toujours remarquable des luttes d'émancipation à partir du XVIIème siècle. L'achèvement de la démocratie, les luttes féministes, anti-esclavagistes puis anti-racistes et contre l'homophobie, ainsi que la mise en place de l'état social britannique au sortir de la deuxième guerre mondiale sont autant d'étapes traitées. La vie sociale et culturelle de la classe ouvrière y est très présente, avec des expositions sur la musique, la confection des bannières syndicales, et, bien sûr, le football.

Une des sections les plus émouvantes du musée concerne la mise en place du service public national de santé (National Health Service, NHS). Le gouvernement travailliste de Clement Attlee, et en particulier son ministre de la santé Aneurin Bevan, a présidé en 1948 à la création de cet immense service public qui continue à assurer à chaque résident britannique, indépendamment de ses revenus, un droit complet à des traitements médicaux, financé essentiellement par l'impôt. Cette socialisation unique de la santé est - et reste - un symbole extraordinaire des luttes sociales britanniques, une conquête majeure de la classe ouvrière.

Lorsque la première ministre conservatrice Margaret Thatcher a mené sa «guerre des classes par en haut» dans les années 1980, détruisant les syndicats les mieux organisés et anéantissant une grande partie du service public britannique, elle s'est largement arrêtée aux portes du NHS. Elle a néanmoins introduit les premières réformes néolibérales qui on été poursuivies avec enthousiasme par le gouvernement social-libéral de Tony Blair, mettant ce service public exceptionnel dans une situation de sous-financement chronique et de pressurisation des employés.

C'est au NHS que s'en prend aujourd'hui le gouvernement ultra-conservateur de David Cameron, malgré ses promesses de campagne de ne pas y toucher. Il est vrai que les conservateurs, et plus encore les «libéraux-démocrates» avec qui ils gouvernent en coalition, n'en sont plus à une palinodie près. Ce que Thatcher elle-même n'avait pas osé attaquer frontalement, Cameron et ses alliés soi-disant «centristes» sont en train de le défaire à une vitesse inouïe. Les coupes budgétaires massives, et les politiques néolibérales qui sont mises en œuvre s'en prennent à tous les secteurs de la vie sociale.

Sans surprise, le Musée d'histoire populaire est une autre victime de ces coupes. L'attaque des conservateurs contre les services publics n'est pas seulement une question d'économie. Elle est d'abord une revanche idéologique de la bourgeoisie qui n'a jamais toléré la perte, même partielle, de sa suprématie. Il s'agit non seulement d'effacer les droits conquis, mais aussi d'en effacer le souvenir lui-même, de rendre impensable une alternative.

Pour la classe ouvrière, il n'y a jamais d'acquis. Les luttes sociales amènent des avancées. Mais elles ne demeurent que tant que les forces qui les ont portées les défendent becs et ongles. La mémoire des luttes passées maintient la possibilité d'un monde à gagner.

Chronique un «monde à gagner», publiée chaque mois dans le quotidien Le Courrier

Romain Felli

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.