Comment lutter réellement contre le changement climatique ?
Toute l’idéologie des « petites actions » volontaires pour « sauver le climat », comme d’éteindre la lumière en sortant d’une pièce, en mettant un pull plutôt que d’augmenter les radiateurs, en roulant à vélo ou en consommant « local », permettent aux militantes et militants convaincus de mettre leurs actions quotidiennes en conformité avec leur vision politique. Mais la réduction par une consommation volontairement moindre ne peut malheureusement toucher que quelques petits pourcents de la population.
Du côté de la production économique, surtout dans les secteurs des transports, du bâtiment, ou de l’industrie, une quantité de fausses solutions sont préconisées par celles et ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que les choses changent vraiment. En Suisse, par exemple, la Confédération a confié la mise en œuvre de la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur pétrolier à... l’association des importateurs de pétrole. Les marchés de permis de polluer en Europe se sont révélés être une vaste escroquerie et les modestes taxes sur le carbone n’ont aucunement permis une réorientation massive des investissements privés vers les énergies renouvelables.
Le très important livre que la merveilleuse Naomi Klein vient de consacrer aux relations entre climat et capitalisme pose enfin le débat à son véritable niveau (Naomi Klein, Tout peut changer, Capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015). Il est inconcevable explique-t-elle de changer suffisamment l’appareil de production dans une économie et une société qui restent capitalistes, c’est-à-dire dans laquelle l’essentiel des décisions d’investissement répondent à la contrainte du profit privé et non à des objectifs sociaux et écologistes. On voit d’ailleurs que partout dans le monde où une transition énergétique s’amorce ce sont des décisions politiques fortes et des investissements publics massifs qui en ont été les déclencheurs et non une illusoire « innovation » économique d’« entrepreneurs » créatifs à la tête de « start-up » abreuvées de « capital-risque » comme les libéraux clinquants qui habitent les médias le répétent constamment.
Mais ce que Klein met aussi en lumière c’est le pouvoir disproportionné dont disposent certaines entreprises gigantesques, celles qui dominent la production d’énergie fossile (pétrole, charbon, pétrole « non-conventionnels », etc.). Ce pouvoir, ces entreprises l’utilisent pour prolonger par tous les moyens la dépendance de notre économie, et de notre société, à ces énergies non-renouvelables, en menaçant de chantage à l’emploi, en obtenant des régulations qui leurs sont favorables, en corrompant le processus démocratique. Klein argumente donc logiquement qu’il est nécessaire d’atténuer le pouvoir de ces entreprises et leur domination du débat public.
Une manière de le faire, certes insuffisante, mais qui permet d’attirer l’attention sur le problème, est de « désinvestir » l’argent public (et privé !) qui est aujourd’hui placé dans ce secteur. Une campagne internationale, mené par l’ONG 350.org fait pression sur des entités publiques ou collectives dont la morale devrait être irréprochable – les universités, les églises, les grandes fondations charitables et les municipalités–, pour qu’elles s’assurent que pas un franc de leur argent ne continue à être investi dans ce secteur aux intérêts diamétralement opposés à ceux de l’Humanité. Plusieurs villes importantes aux Etats-Unis, ainsi qu’en Europe (la dernière en date étant Oslo) se sont d’ores et déjà engagées à désinvestir leurs placements (surtout ceux de leurs fonds de pension) des énergies fossiles.
Cette campagne, trouve un soutien inattendu de la part de conseillers financiers qui ne s’intéressent nullement à l’avenir de l’Humanité, mais uniquement à la rentabilité des placements. Ils font remarquer que si les objectifs internationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre doivent être tenus, alors il est physiquement impossible de brûler plus du cinquième des réserves mondiales prouvées de pétrole. Autrement dit, les réserves si précieuses de ces entreprises pétrolières pourraient bien se révéler n’être qu’un nuage de fumée à long terme. Pour éviter l’éclatement de cette « bulle de carbone », des instituts de conseil en placement enjoignent désormais leurs clients à retirer leurs billes du secteur des énergies fossiles avant qu’il ne soit trop tard.
Qu’attendons-nous pour lancer une telle campagne en Suisse ? Nous pourrions faire pression au travers de nos syndicats sur les caisses de pension qui gèrent l’argent du deuxième pilier, et au travers de nos conseils communaux, sur les villes pour qu’elles joignent le mouvement de désinvestissement de l’énergie fossile. Voilà une contribution concrète à la lutte contre le réchauffement climatique.
Romain Felli
Chronique parue dans le quotidien suisse Le Courrier (16 avril 2015)