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Billet de blog 26 août 2011

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La grande machine à interpréter le climat

La production de données dans le domaine du changement climatique est inséparable de la production de modèles. Tel est le message formulé dans A Vast Machine, un livre passionnant écrit par Paul N. Edwards, professeur d'histoire des sciences à l'Université du Michigan. Au coeur de son ouvrage, une «énorme machine».

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La production de données dans le domaine du changement climatique est inséparable de la production de modèles. Tel est le message formulé dans A Vast Machine, un livre passionnant écrit par Paul N. Edwards, professeur d'histoire des sciences à l'Université du Michigan. Au coeur de son ouvrage, une «énorme machine».

Paul Edwards, A Vast Machine: Computer Models, Climate Data, and the Politics of Global Warming, MIT Press, 2010, 528 pages.

Pourquoi devrait-elle nous intéresser, cette «énorme machine» formant le cœur de l'ouvrage de Paul Edwards, professeur d'histoire des sciences à l'Université du Michigan? Car sur elle se ­fondent, la plupart du temps de manière inconsciente, sur une quantité énorme de débats, controverses et autres batailles scientifico-politiques contemporaines. Elle nous permet de connaître un phénomène fondamental, qui est en train de changer nos existences de manière drastique: le réchauffement climatique.

Savoir comment nous pouvons, matériellement, connaître quelque chose d'aussi gigantesque, et d'aussi abstrait, que l'évolution du climat, et en particulier de la température moyenne à la surface de la planète, constitue un problème essentiel, mais trop souvent escamoté. Comment, pour reprendre le vocabulaire de l'auteur, peut-on produire de telles «données globales»? La réponse apportée par Edwards, historien mais aussi sociologue des sciences et des techniques, a ceci de déconcertant qu'elle va moins s'arrêter à l'histoire de la climatologie ou de la météorologie qu'à l'interaction de ces deux domaines avec le développement des sciences informatiques.

Tout l'intérêt de l'ouvrage, dont le champ d'investigation remonte au XIXe siècle, consiste en l'attention minutieuse portée à la matérialité de la connaissance scientifique, en insistant sur la production des données climatiques et météorologiques au travers de réseaux et d'institutions et d'appareillages sociotechniques qui ont été rendus globaux.

Le message essentiel formulé par Edwards peut se résumer à l'idée que la production de données dans le domaine du changement climatique est inséparable de la production de modèles. A l'inverse, notamment desdits «climato-sceptiques» qui fondent leur politique sur l'opposition entre données «pures» et modèles «interprétatifs», Edwards souligne que les données ne sont jamais «brutes» mais toujours liées à des modèles informatiques. Plus précisément, notre connaissance du changement climatique vient de trois grands types de modèles informatiques: des modèles de données permettant de combiner, et d'ajuster des mesures provenant d'une foultitude de sources; des modèles de simulation du climat; et des modèles dits de «ré-analyse», qui tentent de recréer l'histoire du climat.

Les débats politiques sur le changement climatique seront grandement enrichis par cet ouvrage. Malgré sa longueur, et une certaine spécialisation technique, il reste parfaitement lisible, passionnant même, du fait d'un souci pédagogique évident, et grâce à la possibilité d'entrer dans l'ouvrage par différents chapitres: science politique, sciences de l'information, climatologie, météorologie, etc. Ses lecteurs y gagneront une bonne dose de réalisme scientifique, c'est-à-dire de connaissances sur la manière dont la science se pratique réellement. Il s'agit là d'un savoir qui, à notre époque dogmatique, n'est probablement pas inutile.

Romain Felli
Article paru dans le quotidien Le Temps, 26 août 2011

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