Cet objet, d’ailleurs, n’est cerné que par impressions successives. Dans un style que Dupuy se pique de nommer «pamphlet conceptuel», nous sommes régalés de digressions sur la littérature classique, la philosophie analytique, la psychologie cognitive, la théorie du choix rationnel, une anthropologie du sacré un peu vieillie, et de souvenirs familiaux. L’avantage d’une telle approche réside en ce qu’elle dispense des canons de l’écriture scientifique ou de l’administration systématique de la preuve. Au final, tout cela est bien écrit, contient des développements passionnants, et même quelques fulgurances («moraliser le capitalisme», écrit-il, «ce serait comme ajouter un peu d’eau minérale à un verre d’eau du robinet»!).
Sur le fond, il y est surtout question d’un concept, inventé par l’auteur, celui d’«autotranscendance» et de ses nombreuses déclinaisons. La théorie économique et la théorie politique seraient depuis toujours obsédées par ce modèle sans avoir réussi à l’identifier.
C’est son ignorance qui provoquerait la crise économique, et c’est lui qui aurait manqué au père de la sociologie, Max Weber, pour se sortir des paradoxes qu’il produisait mais n’arrivait – paraît-il – pas à démêler.
Malgré des circonvolutions plus abondantes que nécessaires, il semble que la conclusion pratique que ce livre essaie de livrer, sans véritablement l’expliciter, est la suivante: la «politique» (l’auteur veut dire en réalité l’Etat) devrait élaborer une planification économique non contraignante qui montrerait à l’économie (lire aux entreprises privées) le futur souhaitable que celles-ci devraient réaliser. Pour Dupuy, l’autotranscendance réellement existante n’est autre que le Plan «à la française» des années 1950-1970, l’«ardente obligation» (selon les mots du Général de Gaulle) par laquelle l’Etat jouait le rôle de capitaliste en chef de la France pour organiser la croissance.
L’avenir de l’économie? Son horizon pointe dans le rétroviseur.
Romain Felli
Paru dans le quotidien Le Temps