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Billet de blog 30 août 2011

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Pétrole et démocratie

Le professeur américain Timothy Mitchell a entrepris de démontrer comment le charbon puis le pétrole ont modelé nos démocraties au XXe siècle. Il publie un opuscule intermédiaire avant un éventuel ouvrage plus abouti à la fin de l'année.

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Le professeur américain Timothy Mitchell a entrepris de démontrer comment le charbon puis le pétrole ont modelé nos démocraties au XXe siècle. Il publie un opuscule intermédiaire avant un éventuel ouvrage plus abouti à la fin de l'année.

Timothy Mitchell, PETROCRATIA, La démocratie à l'âge du carbone, Editions ère, 2011

Professeur à l'Université Columbia de New York, Timothy Mitchell est un auteur majeur de la science politique contemporaine. Son ouvrage de 2002, Rule of experts, qui retrace la construction de l'Egypte au XXe siècle, est un chef-d'œuvre de finesse et d'intelligence historique, sociologique, économique et politique. Il a grandement contribué à la sociologie de la science et de l'expertise, à celle de la nation et de l'Etat, ainsi qu'aux études post-coloniales. Dans ce livre-ci, Mitchell poursuit son travail hautement original en traitant du rapport entre la démocratie et le pétrole au XXe siècle. C'est donc avec de grandes espérances que le lecteur aborde ce bref ouvrage (moins de 100 pages de texte). Disons le d'emblée, avant de retourner à un ton plus positif: celles-ci devront être passablement réduites. L'éditeur nous prévient dans sa préface que cet opuscule est une «étape intermédiaire» entre un article publié (en anglais) en 2009 et un ouvrage annoncé pour la fin de l'année. Cela justifie-t-il le mélange curieux entre une grande précision sur certains détails historiques (surtout dans les deux premiers chapitres) et des généralisations ahurissantes doublées d'affirmations non référencées (dans le troisième)? N'aurait-il pas fallu attendre d'avoir la version définitive du livre avant de publier?

Quoi qu'il en soit, dans la lignée de nombreux travaux en sociologie des sciences et en géographie humaine, Mitchell tente de réexaminer le rapport entre la matérialité d'une production, en l'occurrence celle du charbon puis du pétrole, et ses effets socio-économiques. Le déterminisme environnemental ancien qui postulait un rapport direct entre, par exemple, la distribution des «ressources naturelles» et la richesse des régions, a fait place à une mise en contexte fine, et à plusieurs échelles, des objets hybrides socio­naturels. Pour Mitchell, les propriétés matérielles inhérentes au charbon, puis au pétrole, sont essentielles pour expliquer le développement économique et politique des démocraties au XXe siècle.

Il le montre par exemple en détaillant comment l'industrialisation fondée sur l'extraction et le transport du charbon donna aux syndicats britanniques un pouvoir important de contrôle sur les circuits de l'économie, qu'ils utilisèrent pour conquérir des droits et des libertés politiques. A l'inverse, l'introduction du pétrole comme fondement énergétique des économies keynésiennes dès les années 30, et surtout dans l'après-guerre, s'expliquerait par la volonté conjointe du patronat et des Etats de briser ce contrôle ouvrier.

Il ne s'agit là que d'un des nombreux éléments d'une narration plus complexe et beaucoup plus ambitieuse. Si Mitchell, à l'avenir, arrive à nous convaincre de la justesse de son analyse, en incluant tout de même beaucoup plus de matériel que dans cet opuscule, il aura accompli une transformation importante dans notre manière de comprendre la politique du XXe et du XXIe siècle. Au surplus, il n'est pas nécessaire de partager l'analyse pour souscrire à sa conclusion: «La possibilité d'un avenir plus démocratique dépend donc des outils politiques que nous développerons pour affronter la fin de l'ère des combustibles fossiles.»

Romain Felli

Publié dans le quotidien suisse Le Temps

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