"Avec la proposition de loi de sécurité globale, les journalistes sont sous pression.
Le gouvernement patine, et la police dérape.
"Négliger la gravité de ce type de dérives, c'est laisser la porte ouverte aux comportements autoritaires et à l'arbitraire dans la police.
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Le 20 novembre 2020, l'Assemblée nationale adopte l'article 24 de la Loi Sécurité Globale. Depuis le début de la semaine, nombre de syndicats, notamment de presse, et d'associations, d'acteurs de la société civile, ont appelé la population à participer à la journée de mobilisation nationale contre la proposition de loi ce samedi 21. À Montpellier, la manifestation a débuté à 11 heures devant l'Hôtel de Police et a réuni plusieurs milliers de personnes, dont plusieurs dizaines de journalistes, vidéastes et photographes indépendants, soucieux de participer et documenter la mobilisation.
En cette journée consacrée à la lutte contre la loi Sécurité Globale, de nombreux journalistes seront contrôlés. A Montpellier, la manifestation étant autorisée jusqu'en début d'après midi avant de laisser place à celle des Gilets jaunes, interdite par le Préfet, autant être fidèle à la réalité ; une certaine crainte a pu régner parmi les acteurs de la profession : "Après midi, je rentrerai chez moi ... Sans carte de presse, j'aurai certainement une amende" dit un photojournaliste avec plus d'une dizaine d'années de travail pour des agences de presse.
Un autre, au moment où les policiers commencent à évacuer l'espace devant la préfecture : "As-tu une carte de presse ? Ils vont commencer à la contrôler !" Une journaliste d'un média local s’apaise en disant "Pour moi ce n'est pas un problème, car j'ai une carte de presse", un autre photo-reporter lui aussi muni du précieux sésame reconnaît que "c'est problématique pour les confrères qui n’ont pas la carte de presse".
Comme j'avais souligné dans mon enquête Police et numérique, le devoir et le respect des lois vont parfois sur le terrain dans un seul sens. Des policiers continuent d'utiliser leurs téléphones personnels pour photographier et filmer des journalistes, mais également des caméras de haute définition (homologuéees par les services de police) servent aussi à enregistrer des actions « politiques » citoyennes, lors desquelles les objectifs des forces de l'ordre se tournent aussi vers les acteurs de la presse, et notamment alternative.
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Une gendarme filme le cortège contre la loi de Sécurité Globale, devant la préfecture de l'Hérault à Montpellier.
Dans la journée du 21 novembre à Montpellier, un certain nombre de nos collègues seront interpellé·es, par la police, heureusement sans être placés en garde à vue. Néanmoins, plusieurs reporters dont deux journalistes de ma connaissance, seront temporairement interpellés et leurs données personnelles, extraites de leurs papiers d'identité ou cartes de presse, écrites sur le calepin des policiers. Au même endroit, non loin de la place de la Comédie, un autre reporter, sans carte de presse, voit son attestation photographiée par l'iPhone personnel d'un policier.
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Un autre reporter, sans carte de presse, voit son attestation photographiée par l'iPhone personnel d'un policier.
Peut-on parler de dérives, visant à prendre des notes de renseignement, photographier les journalistes et reporters d'images, faire pression, manquer de respect ? Cela devient un comportement récurrent dans la police, au vu des vidéos et autres témoignages de ce genre de violences et d'abus de pouvoir, qui abondent dans le monde journalistique et ses réseaux sociaux notamment.
Ce samedi 21 novembre, je serais ainsi interpellé, contrôlé et fouillé deux fois dans l'après-midi.
Voici mon témoignage et la vidéo de la dernière de ces deux scènes :
Soudain, un policier derrière mon dos essaie de prendre mon smartphone, quand tout de suite un autre, avec un air autoritaire, me demande mes documents d'identité.
Au policier qui tente de récupérer mon smartphone, je lui réponds de ne pas faire ça. Au second, je réponds que je suis journaliste.
Facilement identifiable en tant que journaliste, puisque je porte un appareil photo avec un micro et un stabilisateur, je suis confronté à une certaine agressivité. Le policier qui reçoit mes documents, prend des notes sur un cahier et un autre arrive.. Et un autre arrive... Au bout d'un moment, huit policiers sont autour de moi. Ils me fouillent, en justifiant : "Je ne sais pas si vous êtes armé, si vous êtes un danger pour nous !"
[A ce moment là, la place de la Comédie est quasiment vide. Seules quelques dizaines de Gilets jaunes s'étaient réunis pour manifester avant d'en être chassés par les forces de l'ordre.]
Immédiatement, ils fouillent mon sac (un autre policier dit à son collègue que quelqu'un est en train de filmer et il se déplace avec son bouclier pour cacher la scène) et extraient mon matériel de travail des poches extérieures de mon pantalon, avant de les balancer dans le sac. Je précise que ce matériel venait de mes poches, le policier me répond : "arrange tes affaires, je ne suis pas ta secrétaire".
Malgré les notes prises dans le calepin, et la pression exercée, compte tenu que je possède une carte de presse, rien ne se passe cependant. je me demande où finiront mes données personnelles inscrites dans le carnet de police.
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https://www.youtube.com/watch?v=nD_KKflSV60&feature=youtu.be
Dans notre métier de journalistes de terrain, nous avons une règle d'or, les lois sont une chose, la réalité en est une autre.
À partir de mon expérience sur le terrain : les policiers, en général, n'aiment pas les journalistes, et être filmés, encore moins. On peut donc logiquement s'attendre à un comportement réactionnaire de leur part...
Au-delà d'un présumé fichage, un autre aspect des conséquences des lois façon Sécurité Globale qui donnent de nouvelles cartes blanches à la police, est cette tendance récurrente sur le terrain à vouloir diviser les journalistes en deux catégories distinctes.
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Les gendarmes discutent avec plusieurs journalistes, entre eux les con.frère.seur.s. de La Gazette, MidiLibre, le D'oc, etc.
Les reporters des médias de masse, avec leurs énormes caméras, bénéficient bien souvent d'une tolérance naturelle, qui se base sur les apparences, et d'une certaine mansuétude pour pouvoir circuler au sein des dispositifs de maintien de l'ordre par exemple. Les reporters indépendants, souvent équipés de petits appareils photo ou même de smartphones sont en revanche constamment ciblés : "Avez-vous une carte de presse ? Non. Alors, vous n'êtes pas journaliste !" Deuxièmement, pour les journalistes indépendant·es qui n'obéissent pas aux injonctions de déguerpir, et continuent à faire leur job - à savoir, rester en mesure de renseigner la situation - et à défendre leurs droits, la violence physique se met en place assez facilement.
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La dérive autoritaire prend forme et pour le ministre de l'Intérieur ce genre de violences envers les journalistes arrivent parce que : "Oui, pour éviter la confusion au moment d’une opération, le schéma national du maintien de l’ordre que j’ai présenté en septembre prévoit que les journalistes peuvent, sans en avoir l’obligation, prendre contact avec les préfectures en amont des manifestations." A comprendre qu'il deviendrait ainsi légitime que celles et ceux qui sont là pour documenter la réalité des opérations de maintien de l'ordre subissent des violences ou tentatives d'obstruction dès lors qu'ils ne se sont pas accrédité·es en amont auprès de la police ?
Mais depuis quand on doit se présenter à la police pour pouvoir exercer notre travail en sécurité?
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