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Billet de blog 8 janvier 2018

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LA GUERRE SOCIALE, goutte à goutte...

Le dernier décret des ordonnances Macron, le 29 décembre, est en soixante-douze pages une bonne illustration de ce goutte à goutte destructeur. Avec méthode et un débit sans cesse accru depuis une quinze années.

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Ce décret laisse entrevoir ce qu’il va advenir, à défaut de révolte, des représentants du personnel dans les entreprises.

En effet, le « comité social et économique » (C.S.E), qui supprime en les fusionnant délégués du personnel, membres du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, voit son fonctionnement se préciser :

1/ Nombre de représentants du personnel fortement réduit (R.2314-1 du code du travail)

 Sans changement pour les entreprises de moins de 50 salariés, leur nombre sera drastiquement réduit dans les entreprises de 50 à 125 salariés (divisé par deux), en forte baisse sur les entreprises de 125 à 10 000 salariés (30 à 50 % de baisse), puis à nouveau très fortement au-dessus de 10 000 salariés (divisé par deux à trois).

Il faut en outre ajouter que les ordonnances Macron permettent, par « accord » d’entreprise de diminuer ce nombre...

 2/ Nombre d’heures de délégation réduit (R.2314-1)

La diminution globale est certes ici moins drastique, le nombre d’heures mensuel restant équivalent dans les entreprises de 900 à 10 000 salariés, mais fortement réduit dans celles de 50 à 200 (baisse de 11 à 29%) qui concernent 77,7 % des entreprises de plus de 50 salariés selon l’I.N.S.E.E et 51,5 % des salariés de ces entreprises. Il baisse également dans les très grandes entreprises au-dessus de 10 000 salariés (baisse de 35 % pour une entreprise de 20 000 salariés).

Il faut aussi ajouter que toutes les heures de délégation ne pourront être prises : le décret prévoit (R.2315-7) de déduire des heures de délégation les heures passées en réunion et en commissions au-delà de 30 heures par an pour les entreprises de 300 à 1000 salariés et de 60 h pour celles de plus de 1000 salariés (réunions pourtant fort utiles, par exemple dans les entreprises qui vont utiliser une des nombreuses variantes désormais permises pour licencier en masse et sans contraintes pour motif économique).

 3/ Informations et consultations formatées par l’employeur

 Pour les réunions d’information et de consultation, c’est l’employeur qui fixera désormais (R.2312-12) les modalités d’accès, de consultation et d’utilisation de la base informatique de données à laquelle se réduiront progressivement les informations fournies aux représentants du personnel. Et c’est également l’employeur qui indiquera quelles informations sont confidentielles et fixera la durée de ce caractère confidentiel (R.2312-13).

Mieux, au niveau d’un groupe, ce ne sera pas la loi, mais l’ « accord » qui déterminera qui a accès à la base et comment (R.2312-13).

Des informations essentielles pourront ne pas être données ou alors tardivement : ainsi nulle obligation d’information et de consultation sur les subventions pour charges de service public attribuées par une collectivité publique (R.2312-23) ; ainsi pour la consultation dans les établissements comportant une ou plusieurs installations soumises à autorisation ou une installation nucléaire de base, le C.S.E n’aura les informations que quinze jours après le début de l’enquête publique et ne sera consulté que quinze jours après la réception par l’employeur du rapport de l’enquête publique (R.2312-25).

 4/ Décisions administratives arbitraires

 C’est en se souvenant que les D.I.R.E.C.C.T.E (Directeurs Régionaux des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation et, très accessoirement du Travail et de l’Emploi) sont à l’indépendance de l’inspection du travail ce que Mac Do est à la gastronomie, qu’il convient d’apprécier les mesures du décret relatives aux décisions prises par ces espèces de sous-préfets pour la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts (c’est-à-dire ceux sur lesquels se déroulent notamment les élections professionnelles pour les C.S.E). Le D.I.R.E.C.C.T.E n’est pas tenu de motiver sa décision (R.1313-2), seulement si le juge le lui demande (R.2313-3) !

 5/ Des élections professionnelles hors de contrôle

 Les élections pourront avoir lieu par vote électronique, sur le lieu de travail ou à distance. Et ce mode de scrutin pourra, à défaut d’accord, être imposé par l’employeur (R.2314-5).

En outre c’est l’employeur qui mettra en place une « cellule d’assistance technique » chargée du bon fonctionnement et de la surveillance du système de vote électronique (R.2314-10).

Disposition perverse (un temps de réflexion s’impose pour l’imaginer), l’employeur aura la possibilité de révéler le nombre de votants au cours du scrutin (R.2314-16).

 Quant à la centralisation des importants résultats des élections professionnelles, l’opacité est garantie, la transmission des PV étant faite par l’employeur au prestataire de service agissant pour le compte du Ministère du travail, transmission faite sur support électronique (D.2122-7).

6/ Des secrétaires de C.S.E aux ordres

 Les secrétaires seront tenus d’établir les PV des C.S.E et de les transmettre à l’employeur dans un délai de quinze jours (R .2315-25). Délai réduit à trois jours pour les licenciements pour motif économique de plus de dix salariés (D.2315-26).

 7/  Une transparence des réunions sous conditions

 L’employeur pourra refuser l’enregistrement ou la sténographie des réunions du C.S.E en invoquant le caractère confidentiel des informations fournies. Et les frais engendrés par ces enregistrements ou sténographies seront à la charge du C.S.E s’il les a demandés (D.2315-27).

 8/ Des licenciements de représentants du personnel toujours plus faciles

 L’inspecteur du travail ne sera plus tenu à une enquête contradictoire pour l’examen des demandes de licenciement de représentants du personnel dans les cas suivants : représentant du personnel inclus dans un licenciement pour motif économique de plus de vingt-cinq délégués (R.2421-4) ; représentant du personnel faisant l’objet d’une rupture conventionnelle individuelle ou inclus dans une rupture conventionnelle collective (R.2421-19 et 22).

Et il ne le sera pas plus pour l’examen des transferts de représentants du personnel (R.2421-17).

Cinquante ans après mai et juin 1968, il est peu être temps d’ouvrir les yeux.

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