1/ « Lesprincipesessentielsdudroitdutravail,dégagésparlecomitéprésidéparRobertBadinter,servirontdebaseàuneréécritureducode ».
L’essentiel, ainsi que s’en réjouit le chef du Medef en interne, est sauvé pour le patronat : l’inversion de la hiérarchie des normes ; la réécriture de tout le code sur la base de cette inversion (« La refondation du code du travail proposée par la commission mentionnée àl’article2delaprésente loitraduitlesprincipesessentielsdudroitdutravailsuivants ») ; l’introduction de l’étrange notion de durée « normale » du travail et la possibilité par conventions et accords collectifs de « retenir une durée différente » ; les très nombreuses régressions programmées tant par les « oublis » que par les nouvelles formulations de principes existants, tout cela est conservé.
Point fondamental jamais évoqué : une fois que les dispositions concrètes dépendront des entreprises et non plus de la loi, qui en assurera le contrôle ? Personne, les inspecteurs du travail n’étant pas habilités à contrôler le respect des accords collectifs.
2/ Tout en mettant en avant un pas en arrière dans un renoncement, pour l’instant, à imposer le forfait-jours par décision unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins de 50 salariés, mais en le permettant aisément par le biais d’un accord avec un salarié mandaté par une organisation syndicale amie, voilà que dans la plus grande discrétion, cette nouvelle arme pour les employeurs est étendue à tout le champ des relations de travail ! (« lapossibilitépourlesorganisationssyndicalesdedésignerunsalariémandatéestélargiepourcouvrirdésormaistouteslesmesurespouvantêtrenégociéesparaccordd’entrepriseoud’établissementsurlefondementducodedutravail »).
3/ La possibilité de fractionner le repos quotidien (11h continu) ou hebdomadaire, qui avait été annoncé comme abandonnée, ne l’est pas : « Uneconcertationestengagéeavantle1eroctobre2016surledéveloppementdutélétravailetdutravailàdistanceaveclesorganisationsprofessionnellesd'employeursetsyndicalesdesalariésreprésentativesauniveaunationaletinterprofessionnel… Cetteconcertationporteégalementsurl’évaluationdelachargedetravaildessalariésenforfaitjours,lapriseencomptedespratiquesliéesauxoutilsnumériquespourmieuxarticulerlaviepersonnelleetlavieprofessionnelle,ainsiquesurl’opportunitéet,lecaséchéant,lesmodalitésdufractionnementdureposquotidienouhebdomadairedecessalariés ».
4/ Pour tous les congés autres que les congés payés, la possibilité de faire par accord moins que la loi actuelle est maintenue sauf, en raison de la forte colère suscitée par la possibilité de les diminuer par accord d’entreprise, les congés pour évènements familiaux (« Pourlescongésliésàdesévènementsfamiliaux,laduréedéfinieparvoie conventionnellenepourraêtreinférieureàcellequis’appliqueàdéfautd’accord »). Une leçon de choses qui peut permettre de comprendre parfaitement ce que signifie l’inversion de la hiérarchie des normes et également la parfaite connaissance que les rédacteurs du texte initial avait de leur mensonge quand ils assuraient que tout cela avait été fait à « droit constant ».
5/Suppression des dispositions sur le congé de formation économique, sociale et syndicale. Elles seront reprises lors de la réécriture du code du travail dans une autre partie du code. 6/Indemnités prud’homales : L’article a été retiré. Sauf surprise au Parlement, la régression se ferait par décret d’ici quelques semaines. Quoiqu’il en soit, le changement (qui logiquement aurait une nouvelle fois été imposé par le Conseil d’Etat) du plafond en barème indicatif (avec maintien de la suppression du plancher) n’atténuerait en pratique que très peu l’immense recul que constitue cette disposition. 7/ Le recul annoncé sur la définition du motif économique n’a pas eu lieu : maintien de critères prétendument objectifs ; maintien de critères sans aucun lien avec des difficultés économiques (« réorganisationdel’entreprisenécessaireàlasauvegardedesacompétitivité ») ; maintien de l’interdiction de recherche du motif au niveau des groupes, l’ajout d’une limitation sans portée pratique (« Nepeuventconstituerunecause réelleetsérieusede licenciementpourmotiféconomiquelesdifficultéséconomiquescrééesartificiellementpourprocéderàdessuppressionsd'emplois ») : les licenciements auront eu lieu et, sans même évoquer leur volonté, quels seront les moyens des juges pour aller, longtemps après, traquer les « artifices » dont les groupes usent en permanence dans la plus grande impunité. 8/ Les contrats de travail en cours pourront être rompus et non plus transférés quand une entreprise de plus de 1000 salariés transfère une ou plusieurs entités économiques dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.
9/ Après avoir, dans le deuxième projet El Khomri, corseter les négociations d’accords collectifs en renvoyant les « informations partagées » à la « base de données » issue de l’A.N.I scélérat du 11 janvier 2013, voilà que sont verrouillées les possibilités de contester les futurs accords d’entreprise rétrogrades : la méthode de négociation pourra éventuellement être fixée par un accord de branche s’il n’en existe pas au niveau de l’entreprise, mais si la méthode n’est pas respectée, l’accord issu de la négociation biaisée sera tout de même valable si l’employeur a été « loyal » (« Saufsi cetaccordenstipuleautrement,laméconnaissancedesesstipulations n’estpasdenatureàentraînerlanullitédesaccordsconclusdansl’entreprise,dèslorsqu’estrespectéleprincipedeloyautéentrelesparties»). Comme disait César dans la trilogie de Marcel Pagnol, si on ne peut pas tricher entre amis…
10/ La condition de majorité pour les accords collectifs passe de « au moins 50% » à « plus de 50% »
11/ Le « Compte Personnel d’Activité » (CPA), immense traitement automatisé de données personnelles centralisé par la Caisse des dépôts et consignations, se voit adjoindre, en plus du « Compte Personnel de Formation » et du « Compte de prévention de la pénibilité » déjà prévus un « Compte d’engagement citoyen ». Si on analyse ce CPA pour ce qu’il est - un gigantesque fichier, livret ouvrier numérique du XXIème siècle, mise en compétition de tous les actifs, individualisation systématique de tous les droits collectifs, inégalités institutionnalisées, et à terme avec l’entrée prévue de tous les comptes de protection sociale, remplacement progressif de la sécurité sociale par l’assurance privée - l’ajout du « Compte d’engagement citoyen » est une aggravation. D’autant que ce « Compte » est destiné à favoriser le travail « bénévole » (« activités bénévoles ou de volontariat ») dans des activités qui devraient faire l’objet de vrais emplois publics (limitativement : « service civique », « réserve militaire », « réserve communale de sécurité civile », « réserve sanitaire », exercice de « fonctions importantes » dans des « activités de bénévolat associatif » dans des associations dont la liste sera fixée par arrêté ministériel) quand elles ne correspondent pas à une obligation de l’employeur en matière de formation (« activités de maître d’apprentissage »). Employeurs qui seront dispensés de toute contribution au financement des heures de formation qui pourront être inscrites sur le « Compte Personnel de Formation » (financement prévu par l’Etat, notamment pour le maître d’apprentissage et les activités associatives…, par la commune et par l’établissementpublicchargédelagestiondelaréservesanitaire).
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Dès lors, et sans présager du sort que le Parlement leur réservera (expériences faites avec les lois Sapin 2013, Macron et Rebsamen 2015, rien n’est garanti jusqu’à la publication de la loi), que pèsent les « rééquilibrages » qui suivent :
1/Retour de la consultation des représentants du personnel (qui était devenue « information » dans le deuxième projet de loi) pour les contreparties unilatérales de l’employeur aux temps d’habillage et de déshabillage quand une tenue est nécessaire ; de même pour la consultation des représentants du personnel et la transmission de leur avis à l’inspection du travail pour les demandes de dérogation à l’administration sur les dépassements de la durée maximale hebdomadaire ; de même que leur avis conforme pour la mise en place d’horaires individualisés ; 2/ Suppression de la possibilité de fractionner le repos quotidien ou hebdomadaire pendant les périodes d’astreinte ; 3/ Retour à la possibilité, par accord, de faire travailler 46 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi).
4/ Est réintroduite l’intervention de l’inspecteur du travail pour le passage de 8h à 10h et de 35 à 40h de la durée maximale des apprentis ; de même que son autorisation pour la mise en place d’horaires individualisés en cas d’absence de représentants du personnel ; son information en cas de fixation unilatérale des modalités d’astreinte par l’employeur ; son information préalable en cas de mise en œuvre du temps partiel par l’employeur dans une entreprise sans représentants du personnel ;
5/Passage de 16 à 9 semaines (au lieu de 4 semaines actuellement) de la période pouvant donner lieu à décision unilatérale de l’employeur pour le décompte des heures supplémentaires. 6/ Nécessité d’un accord de branche pour pouvoir, par accord d’entreprise, faire un décompte des heures supplémentaires sur 3 ans. 7/ Retour à la possibilité légale de faire travailler 40 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi) les travailleurs de nuit ; retour à la possibilité, par accord, de faire travailler 44 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi) les travailleurs de nuit.