1/ L’intitulé « inspecteurs du travail » disparaît du code du travail. Il est remplacé par l’intitulé « agents de contrôle de l’inspection du travail ». Un changement fondamental qui scelle la fin de l’indépendance des inspecteurs du travail pourtant garantie par l’OIT. En effet, ce changement fait suite au décret SAPIN de mars 2014 qui, en ajoutant un niveau hiérarchique au-dessus des inspecteurs du travail, a supprimé l’affectation des inspecteurs par arrêté sur une section géographique stable, ce qui garantissait qu’une entreprise était contrôlée par un inspecteur déterminé dont le nom devait être affiché dans l’entreprise. Désormais, plusieurs inspecteurs peuvent intervenir sur la même entreprise, un inspecteur peut se voir changer de section géographique par sa nouvelle hiérarchie voire affecté au contrôle d’un domaine particulier, hors secteur. Toutes manœuvres qui permettent de faire pression sur l’exercice de leurs missions.
2/ Le projet de loi UBER/EL KHOMRI permet, en transférant potentiellement aux employeurs le soin de dire le droit du travail par accord d’entreprise ou décision unilatérale, de tenir à distance l’inspection du travail qui ne peut relever par procès-verbal les infractions aux accords d’entreprise et aux accords de branche (en dehors des salaires minima conventionnels ayant fait l’objet d’un arrêté d’extension).
L’ordonnance du 7 avril 2016, prise en application de la loi MACRON, complète cette mise à l’écart en transférant de fait aux D.I.R.E.C.C.T.E les pouvoirs des inspecteurs du travail de constater, par procès-verbal transmis au Parquet, les infractions des employeurs pour ce qui continuera à relever du Code du travail.
La première technique prévue par l’ordonnance est le remplacement possible de ces procès-verbaux par une « transaction pénale » décidée par le D.I.R.E.C.C.T.E (« L’autorité administrative compétente peut, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, transiger avec les personnes physiques et les personnes morales sur la poursuite d’une infraction constituant une contravention ou un délit »). Cela concerne les infractions suivantes : licenciement pour motif économique ; contrats à durée déterminée ; contrats de travail temporaire ; salariés détachés ; sanction pécuniaire ; affichage des conventions collectives ; accessoires de salaires des conventions collectives étendues ; durée du travail ; répartition et aménagement des horaires ; repos et jours fériés ; congés payés et autres congés ; dispositions relatives aux jeunes travailleurs ; contrôle de la durée du travail (sauf durée maximales) et des repos ; égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ; paiement du salaire ; protection du salaire ; frais de transport et titres restaurant ; santé et sécurité ; contrat d’apprentissage ; artistes du spectacle ; mannequins et agences de mannequins ; enfants dans le spectacle, la publicité et la mode ; concierges ; employés de maison ; travailleurs à domicile.
A noter que c’est l’employeur qui décidera s’il choisit ou non la transaction pénale, le D.I.R.E.C.C.T.E devant lui transmettre sa proposition de transaction ainsi qu’une copie du procès-verbal envisagé par l’inspecteur du travail pour qu’il puisse choisir…le moins disant ! A cet égard, outre la soumission des D.I.R.E.C.C.T.E au pouvoir politique, l’ordonnance a prévu l’argumentaire pour des montants réduits : « La proposition de transaction est déterminée en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de ses ressources et de ses charges ».
Autre avantage, l’action publique étant éteinte définitivement après exécution de la transaction, il n’encourra pas les sanctions pénales du régime de la récidive en cas de récidive !
La deuxième technique, complémentaire est le remplacement possible des sanctions pénales faisant suite aux procès-verbaux des inspecteurs du travail par une « amende administrative » décidée par le D.I.R.E.C.C.T.E (« L’autorité administrative compétente peut, sur rapport de l’agent de contrôle de l’inspection du travail mentionné à l’article L. 8112-1, et sous réserve de l’absence de poursuites pénales, prononcer à l’encontre de l’employeur une amende »). Cela concerne les infractions suivantes : non respect d’une décision de l’inspection du travail d’arrêt de travaux ou d’activité, de vérification, de mesure ou d’analyse, de retrait d’un jeune travailleur ; durées maximales de travail et repos ; décompte du temps de travail ; salaire minimum légal ou conventionnel ; emploi d’un jeune travailleur à des travaux interdits ou règlementés ; hygiène, restauration, hébergement.
A noter que c’est l’inspecteur du travail qui doit décider, et de façon irrévocable, s’il choisit la voie de l’amende administrative (sauf pour le travail illégal dans le bâtiment et pour les salariés détachés où la loi Macron a déjà prévu qu’il n’y aurait que des amendes administratives…). En ce cas, l’inspecteur du travail transmet un rapport au D.I.R.E.C.C.T.E qui peut décider de classer sans suite (pas d’amende) ! S’il ne classe pas, il doit informer l’employeur de la sanction envisagée et celui-ci a un mois (ou deux) pour faire ses observations. Là encore le D.I.R.E.C.C.T.E peut tenir compte de ses observations et décider de classer (pas d’amende) !
De même que pour la « transaction pénale », l’employeur peut être serein sur le montant de l’amende : « le montant maximal de l’amende est de 2000 euros (pour la durée du travail, les salaires, minima, l’emploi de jeunes à des travaux interdits ou règlementés) » et « Pour fixer le montant de l’amende, l’autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges ».
Il est aussi intéressant de noter l’argumentation du Ministère pour justifier que l’amende administrative soit confiée au D.I.R.E.C.C.T.E et non à l’inspecteur du travail, il s’agirait de respecter « le principe de séparation des pouvoirs de constat et de sanction » afin de « garantir le respect du principe d’impartialité ». Une absence de séparation qui ne dérangeait pourtant pas le Ministère quand il a décidé en 2007 de donner aux inspecteurs du travail le pouvoir de distribuer des timbres amende à l’encontre de salariés fumeurs dans les entreprises.
Enfin, pour les deux techniques de substitution, il faut souligner que l’intérêt essentiel pour les employeurs est la discrétion des arrangements dans le bureau du D.I.R.EC.C.T.E à la place des audiences publiques du tribunal de police ou du tribunal correctionnel. Car outre le remplacement des procès-verbaux des inspecteurs du travail par des « transactions pénales » ou des « amendes administratives », les procès-verbaux portant sur des contraventions pourront faire l’objet de la procédure simplifiée (ordonnance pénale) qui évite précisément l’audience !
Plus encore, et l’anti syndicalisme se confond ici avec le secret des affaires, l’ordonnance prévoit qu’en cas d’amende administrative, l’information ne soit donnée qu’aux représentants du personnel, quand il y en a, et limitativement énumérés : CHSCT si l’infraction concerne l’hygiène ou la sécurité, le CE ou les DP sinon. Il n’est pas prévu que les organisations syndicales puissent être informées, le Ministère du travail expliquant dans ses commentaires de l’ordonnance que la décision de sanction administrative comporte « des constats de manquements dont la diffusion à des tiers pourrait porter préjudice à leur auteur » (s’appuyant en cela sur la discrète ordonnance n°2015-1341 du 23 octobre 2015…) et qu’en conséquence cette décision ne peut être communiqué à des tiers. 48 ans après mai 1968 qui a vu la création des sections syndicales d’entreprise, on apprend donc que les organisations syndicales sont désormais considérées comme des tiers.
Enfin, le rôle des organisations syndicales est aussi nié par l’impossibilité, en cas de transaction pénale ou d’amende administrative de se porter partie civile sur les procès-verbaux des inspecteurs du travail, ce qui interdisait le classement de ces procès-verbaux, un classement fréquent qui est l’argument essentiel du Ministère pour justifier le recours à des sanctions « modernisées » qui seraient plus efficaces…Le Medef en rit encore.