Quand on bosse, le jour férié bien placé est source de joie pour bon nombre d'entre nous mais parfois, pour d'autres, c'est le coup de blues assuré ; c'est Marcel qui m'a mis la puce à l'oreille un jour où j'étais venu passer un week-end prolongé au village à l'occasion d'un généreux pont du joli mois de mai.
A chaque fois que je descends au village je passe dire un petit bonjour à Simone et Marcel car il me redonnent la frite ces deux là mais cette fois je l'ai trouvé maussade le Marcel, un truc ne tournait pas rond et malgré ses efforts pour cacher ses états d'âme je sentais chez lui quelque chose qui ressemblait à une grosse déprime. Vu que ce n'est pas le genre de la maison je lui posais carrément la question car avec Marcel on ne finasse pas, on va droit au but.
C'est Simone qui a répondu d'emblée, Simone sait toujours mieux et plus vite que Marcel apporter la réponse aux grandes questions.
"T'inquiète, c'est toujours comme ça les jours fériés, ça va passer" ; alors Marcel a développé plus avant.
"Viens fiston, on va s'assoir, Simone va nous préparer un jus" ; pour Marcel, ceux qui ont 20 ans de moins que lui sont des "fistons" pour les mecs et des "gamines" pour les filles même si la gamine a 60 balais.
La conversation a démarré. "Tu vois fiston, quand la retraite arrive et que t'as trimé ton compte d'années, t'es heureux comme un roi du pétrole, c'est tous les jours dimanche ; la première année tu ne vois pas le temps passer et la deuxième aussi et puis tu t'habitues très vite à ta nouvelle vie. Au bout d'un moment, quand tu as bien profité des bons côtés de la chose, les hommes étant les hommes, tu jettes un œil sur ce qui pourrait te manquer et là tu trouves un tas de petites choses dont désormais tu es privé et le jour férié est un de ces petits bonheurs qui ne sont plus pour toi."
"Je sais ce que tu vas me dire fiston et j'en suis bien conscient, tu vas me répondre que pour moi c'est férié chaque jour alors qu'est-ce que je veux de plus et tu auras raison de me moucher ainsi mais c'est comme ça fiston, c'est quand même un p'tit bonheur en moins que ce jour férié dont tu ne peux plus jouir ; avant la retraite, quand t'es encore au boulot, en début d'année déjà tu les pointes sur le calendrier et tu fais des plans sur la comètes ; la veille c'est déjà presque férié, la bagnole est prête, ça a un petit goût de congés payées, un petit air de Front Populaire".
Marcel n'est pas un égoïste, il s'est démené avec les copains du syndicat pour faire avancer la cause des travailleurs et il est bien content pour ceux qui vont encore au charbon quand un jour férié se pointe, il est content pour eux mais ça n'empêche, lui ,il a un velu coup de blues alors il traîne en charentaise à la maison en rouspétant à propos de tout et de rien, putain de jour férié. Ce jour là, il ne parvient pas à vraiment profiter, c'est comme si les caisses de retraite lui retiraient quelque chose. Au fil de sa discussion avec moi il avait mis le doigt sur le problème et une amorce de solution se profilait.
Il allait lancer une pétition Marcel, une pétition pour demander à ce que pour les retraités les jours fériés soient payés en plus, payés double en quelque sorte et tant qu'on y est il faudra aussi réclamer un 13 ème mois et puis des tickets restaurants et on va réfléchir pour voir si il n'y aurait pas d'autres points à améliorer. Déjà qu'ils nous l'ont mis profond avec les contre-réformes successives et maintenant avec le gèle des pensions, du coup Marcel se voit obligé de reprendre la lutte.
Notre conversation l'a dopé, fini le coup de blues, ça lui a donné des idées et puisque je suis là on va faire la banderole ensemble pour la manif' qui ira avec la pétition.
Après avoir bu le café préparé par Simone je les quitte le cœur léger, Marcel is back ! Désormais chaque jour férié sera pour lui un jour de combat !