On ne peut douter de l'influence déterminante d'Alain Bauer auprès du ministre de l'intérieur dans ses décisions concernant la surveillance vidéo (n'a-t-il pas écrit un livre pour en faire la louange ?), et n'est-il pas le conseiller préféré du Président Sarkozy en ce qui concerne la criminalité ?
Alors même que l'État décide d'accroître de manière conséquente l'utilisation de la vidéosurveillance, arguments et contre arguments se superposent rendant de plus en plus complexe l'analyse objective du phénomène. «La question de l'efficacité de la vidéosurveillance (...) n'a toujours pas été tranchée», assène un rapport du Sénat publié le 17 décembre 2008.
les défenseurs du système citent avec raison l'arrestation des terroristes impliqués dans les attentats meurtriers de Londres en juillet 2005, et l'apport décisif des caméras de surveillance du métro londonien dans l'identification des auteurs de ces crimes. Ils ont raison.
Mais Eric Heilmann, Maître de conférence à l'université Louis-Pasteur de Strasbourg, nuance avec intelligence : "c'est parce que la police britannique avait été informée de l'identité potentielle des suspects qu'elle a pu ensuite les reconnaître sur des images. Cela a été possible parce que des centaines d'enquêteurs ont été mobilisés pour visionner 15 000 vidéos. Penser que l'on pourrait mobiliser de telles ressources humaines pour des actes criminels de moindre ampleur serait se moquer du monde".
Plus troublant encore, le témoignage de l'inspecteur de police Mike Neville, responsable du Bureau des images, identifications et détections visuelles (Viido) de la police de Londres, qui conclut que l'utilisation de cette technologie est jusqu'ici un « véritable fiasco».
« Des milliards de livres ont été dépensés dans le matériel, mais on n'a pas réfléchi à la manière dont la police allait utiliser les images et comment elles seraient présentées devant un tribunal », a-t-il déclaré lors d'une conférence organisée à Londres.
Il semblerait que l'aspect humain soit un des principaux obstacles à l'utilisation optimale de ces nouveaux outils : une fois les caméras installées, les élus négligent dans 90 % des cas de vérifier quel est leur impact, notamment en matière de prévention de la délinquance. Les caméras sont-elles placées aux bons endroits ? Ils se rassurent de leur simple présence, sans chercher à optimiser leur utilisation (selon un rapport du ministère de l'intérieur en 2005).
Il est vrai que les seules études complètes sur le sujet ont été réalisées au Royaume-Uni, comme celle de Gary Armstrong et Clive Norris, qui soulignait dès 1997 que les opérateurs de surveillance luttaient d’abord contre l’ennui : pauses fréquentes, lecture de magazines, mots croisés, somnolence, et même... voyeurisme, qui représentait 15 % du temps de visionnage consacré à surveiller des femmes. Un autre rapport de 2005 (Martin Gill et Angela Spriggs), un des plus complets sur le sujet, confirme cette fâcheuse tendance principalement à cause du faible taux moyen de six incidents pour quarante-huit heures de surveillance. (d'après Le Monde Diplomatique)
Mais pour Alain Bauer et le gouvernement, la messe est dite, quoi qu'en disent d'autres "experts" diplômés par ailleurs.
De mauvais esprits pointeraient du doigt AB Associates, la boîte de Bauer spécialisée en audit sur la question sécuritaire auprès des municipalités, en soulignant un risque de conflit d'intérêt. Ce serait minimiser la question à une affaire triviale et sous estimer Alain Bauer, bien que le secteur soit des plus porteurs : Entre 1 et 1,5 milliard d’euros, c’est ce que pesait le marché de la vidéosurveillance en France en 2007, selon l'estimation du cabinet de consultants Icade Suretis. La vidéosurveillance urbaine ne représentait encore qu’une petite part du gâteau (20 %). Mais le créneau est en plein boum.
Monsieur Bauer est un de ces hommes de réseaux qui naviguent dans tous les milieux. Après des débuts prometteurs sous la gauche (son amitié avec Valls, le socialoréac est toujours solide), il est un des premiers a servir le petit énervé de la Place Beauvau. Peut être leur amour des Etats Unis et leur atlantisme est-il un point de concorde. Toujours est-il que Bauer est prêt à tous les subterfuges pour conforter une opinion déjà acquise aux vertus du vidéo-voyeurisme, avec l'aide de journalistes et de journaux "amis". Il faut lire l'article de Jean-Marc Manach sur le sujet.
La vidéosurveillance, outre qu'elle nécessite des investissements importants en matériel, a besoin de personnel pour visionner ces écrans. Comme le gouvernement fait tout son possible pour diminuer le nombre de ses fonctionnaires, les cameras vont-elles remplacer les effectifs défaillants ? "M. Sarkozy a retiré la police du terrain (suppression de la police de proximité) et il a diminué les effectifs de police (10.000 policiers manqueront d'ici à 2012)", déplore ainsi le PS. Les équipement seront ainsi à la charge des collectivités locales (ne vous plaignez pas de voir augmenter les impôts locaux) dont la plupart pourraient sous-traiter le marché. Une aubaine pour les sociétés privées spécialisées dans le sécuritaire.
L’USP, première organisation patronale du secteur a signé opportunément en décembre 2008 une convention avec Laurent Wauquiez afin de valoriser les emplois du secteur de la sécurité privée dans un contexte de création de 100 000 nouveaux postes d’ici 2015, soit près de 15 000 par an.
Ainsi, le péril terroriste, qu'il soit ultramusulman ou ultragauchiste, permet d'entretenir un nouveau secteur industriel sécuritaire, un parfait business répondant aux préoccupations d'une population vieillissante, et en remplacement des sidérurgistes ou ouvriers d'usine automobiles en perdition.
Et si les ultramusulmans venaient à faiblir dans nos capitales européennes, soyons sûr que les ultragauchistes apparaîtraient venant de Tarnac ou d'ailleurs, pour entretenir cette peur salutaire, celle qui fait gagner les élections ou embaucher des vigiles qui sont si efficaces à regarder les écrans de surveillance, celle qui renforce les pouvoirs de la police et bride ceux de la Justice...