
Claude Thévenet, la balance qui a pondu le rapport Nautilus (mis en ligne sur Intox2007) révèlant le Karachigate, est une personne controversée. Voilà ce qu'en dit le "Pacha" de secret défense :
Il s'agit de Claude Thévenet, 59 ans, directeur de plusieurs sociétés d'"intelligence économique", comme il est poli de dire. Il s'agit en réalité d'officines plus ou moins barbouzardes, comme MJM Partners ou TPM International, hébergée aux Champs-Elysées. Thévenet est un ancien policier de la DST (contre-espionnage) qui a quitté le service en 1991, il y a dix-huit ans. Il a alors créé plusieurs sociétés, notamment avec un ancien de la DGSE Michel Mauchand. Ils obtiennent, par exemple, un contrat pour la sécurisation du site de Kourou en Guyane.
Dans ces activités professionnelles, Claude Thévenet a eu des sérieux ennuis avec la justice. Il a ainsi été condamné en 2008 à verser 30.000 euros de dommages et intérêts à un couple de Lyonnais qu'il avait espionné pour le compte d'une entreprise. Il est par ailleurs mis en examen pour "corruption active", "recel de violation du secret professionnel et du secret de l'instruction" dans la cadre d'un contrat passé avec la société DCNI, la branche internationale de DCN (Direction des constructions navales). Il était alors en affaire avec Gérard-Philippe Menayas, directeur financier de DCNI - qui a depuis lors quitté DCN en assez mauvais termes.
C'est ce même Gérard-Philippe Menayas qui lui aurait commandé le rapport baptisé Nautilus. Remis le 11 septembre (sic) 2002, ce document de trois pages a été transmis aux juges d'instruction de l'attentat de Karachi, en octobre dernier comme le racontait Le Point, fin 2008. Claude Thévenet est l'auteur de ce rapport qui pointe les commissions non versées.
Un article du Monde, du 2 février 2008, cite ces personnages dans une enquête plus détaillée qui va créer des remous. Le parquet de Paris dispose d’éléments qui suggèrent l’implication de la société DCN, aujourd’hui DCNS, premier constructeur français de porte-avions, sous-marins et autres frégates, dans des opérations de corruption pour acquérir des documents judiciaires et fiscaux.
Selon les enquêteurs, le grand groupe d’armement aurait eu recours aux services de sociétés d’intelligence économique, gérées par d’ex-membres des services secrets français, pour se procurer des pièces de procédures judiciaires liées à des affaires, comme Clearstream ou les frégates de Taïwan, et pour enquêter sur l’entourage de magistrats, tels que le juge Renaud Van Ruymbeke ou le juge Paul Perraudin en Suisse, mais aussi sur l’entourage de personnalités politiques...
But avoué, dans un courrier daté du 10 janvier 2002 : "Entrer en contact avec les avocats et experts désignés par la partie adverse, et d’en soutirer le maximum d’informations." D’après un échange de courriers saisis par les enquêteurs, la société Eurolux Gestion, basée au Luxembourg, est chargée par la DCNI, la branche commerciale de la DCN d’investiguer sur la procédure judiciaire et le contentieux financier lié à l’affaire des frégates de Taïwan, construites par la DCN. Un dossier dans lequel Taïwan réclame 1,2 milliard de dollars à la France. C’est Gérard-Philippe Menayas, alors directeur financier et administratif de DCNI, qui signe les courriers.
A cet effet, une deuxième mission est lancée, qui répond au nom de code, selon les policiers, de "Lustucru". Pour satisfaire la DCNI, Eurolux Gestion va avoir recours aux services d’une société d’intelligence économique, MJM Partners, une société fondée par Michel Mauchand, 67 ans, un ancien de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et Claude Thevenet, 58 ans, qui œuvrait, lui, à la direction de la surveillance du territoire (DST).
Lors d’une perquisition chez Armaris, la structure d’exportation de DCNS, les policiers tombent sur des copies d’auditions du dossier Clearstream, dont celle de Renaud van Ruymbeke. Pour les enquêteurs, la DCNI a confié depuis 1994, successivement aux sociétés Heine, Eurolux et Armaris, des missions illégales de "lobbying". Un autre courrier de M. Menayas est saisi : "J’ai mis en place l’organisation financière et juridique appropriée en vue de la gestion des réseaux internationaux, aussi bien chez DCNI que par la suite chez Armaris." Un contrat de prestations de services, entre Eurolux et DCNI, signé le 20 juin 2000, en fait foi.
Randall Bennett, le chef du service de sécurité diplomatique américain au Pakistan, qui a aussi dirigé la cellule d’investigation chargée de retrouver le journaliste américain Daniel Pearl avait remis des photographies de l'attentat qui ont été détruites sur injonction de la Justice française (selon Libération).
On notera que l'enlèvement de Pearl est cité dans le rapport Nautilus comme un avertissement possible :Cet attentat suit plusieurs avertissements adressés localement au personnel diplomatique en charge de l'armement. Il s'agit notamment d'une bombe placée sous le véhicule de l'épouse d'un fonctionnaire, au mois de février 2002, sans que le détonateur ait été préalablement actionné.
L'enlèvement de Daniel Pearle, compte tenu de ses liens familiaux (sa femme est française et travaille pour RFI) et au regard des premiers textes de revendications (il est demandé aux occidentaux d'honorer leurs engagements sur des marchés d'armements, un texte cite le contrat des F l6 gelé par le département d'Etat) aurait pu également constituer un autre avertissement (recherche en cours).
Un troisième personnage, outre Thévenet et Menayas, semble essentiel dans ce circuit de commissions occultes qui agite le panier de crabe : Jean-Marie Boivin que Bakchich surnomme l'Alfred Sirven de l'armement. Boivin est au mieux avec le Premier ministre Jean-Claude Juncker, ainsi qu’avec l’ancien ministre luxembourgeois de l’Intérieur, Michel Wolter, qu’il invitera un jour à un mémorable safari en Afrique du sud. Aux frais de DCNI… Surtout, son amitié avec le Grand Duc du Luxembourg, avec qui il voyage en Suède, au Chili, au Brésil, lui sert de sauf conduit. Voire de passe-partout.
Jean Marie Boivin s’occupa brillamment de la face cachée des contrats à l’export. Il le fit via deux petites sociétés, Heine et Eurolux Gestion, créées au Luxembourg, véritable boite noire des contrats de frégates des années 90. Heine était utilisée avant la mise en place de la convention de l’OCDE, qui interdit de graisser la patte à des ministres ou fonctionnaires étrangers. Après l’entrée en vigueur de ce texte international, la structure Eurolux a été créée. « Après 2002, Eurolux a servi à contourner la mise en place de la convention OCDE de lutte contre la corruption », a expliqué l’un des mis en examen dans le dossier, comme l’a rapporté Le Monde. (d'après Bakchich)
Compliqué n'est-ce pas ? Cette information permet de relier tout ce petit monde jusqu'au sommet de l'état :
«Un document chronologique (1994-2004) d'une page, non daté ni signé, retrace, notamment, de manière succincte et imprécise, les circonstances de la création de la société Heine fin 1994», écrit le procureur Jean-Claude Marin. Ce document, «mentionnant l'aval du directeur de cabinet du Premier ministre (Nicolas Bazire) et celui du ministre du Budget ( Nicolas Sarkozy), laisse supposer des relations ambiguës avec les autorités politiques en faisant référence au financement de la campagne électorale d'Édouard Balladur pour l'élection présidentielle de 1995», ajoute-t-il.
Mais dans son rapport, le procureur propose d'exclure du champ de l'information judiciaire à ouvrir cet aspect du dossier. À l'appui de cette position, Jean-Claude Marin fait valoir «l'ancienneté des faits».
On ne manquera pas de remercier le procureur Marin.