Dessin du marseillais Honoré Daumier
J'ai rencontré il y a quelques temps le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Tarascon. J'avais déjà évoqué la position du président du TGI de Tarascon, Marc Juston, dans un billet précédent.
Maître Jean-Marie Lassalle, Arlésien depuis 43 ans, fils d'avocate et petit-fils de magistrat, exerce la fonction d'avocat depuis 15 ans.
Au cours de notre entretien, nous avons parlé de la réforme du monde judiciaire voulue par Nicolas Sarkozy.
Voici une partie de ses propos :
"J'ai engagé plusieurs recours auprès du Conseil d'Etat au sujet des décrets concernant la réforme de la carte judiciaire, et la mutation du juge d'instruction, et nous avons décidé avec le Conseil de l'Ordre que chaque décret concernant la circonscription de Tarascon ferait l'objet du même type de procédure.
Nous avons obtenu l'annulation d'un premier décret le 19 décembre 2008 (pour vice de forme), et alors que le Gouvernement a pris un nouveau décret le 20 mars 2009, le Conseil de l'Ordre a autorisé le 6 avril son Bâtonnier à le contester, ce que je viens de faire.
Je suis donc en première ligne pour représenter au mieux les opinions du barreau, avec les désagréments et les risques que cela représente." m'a-t-il déclaré.
Il a ajouté très en colère, qu'il contestait la fond et la forme de cette réforme :
"Sur le fond, le regroupement des juges d'instruction dans des pôles régionaux et la fermeture parfois incohérente de tribunaux rend la Justice d'un accès difficile pour le citoyen. D'autre part, il y a une mutation de la notion du droit français, un bouleversement de la procédure pénale, dont le juge d'instruction restait le symbole. Si le nombre d'affaires dont il est saisi représente moins de 5 % des affaires pénales aujourd'hui, le juge d'instruction est chargé des crimes et des très sensibles affaires politico-financières. Qu'en sera-t-il quand l'instruction dépendra du procureur, c'est à dire du Ministère de la Justice ?
Encore un peu plus encadrée dans un pôle d'instruction sans possibilité de mener lui-même les investigations, sa fonction est appelée à disparaître, comme l'a annoncé le Président de la République.
Nous en arrivons à la forme qui est particulièrement contestable. Alors même que la réforme de la carte judiciaire est en cours de réalisation, cette annonce de suppression du juge d'instruction ajoute une réforme à une autre. Mais là, il faudra plus qu'un décret, il faudra légiférer. C'est une manière de procéder assez étonnante ! Enfin, c'est le traitement réservé au personnel judiciaire qui n'est pas acceptable."
Je crois me souvenir qu'il a qualifié ces façons de procéder de "méthodes de voyous".
Pour finir, il m'a avoué être très inquiet pour l'avenir de sa profession, alors que le rapport de la de la commission Darrois qui vient de recevoir l'aval du Président de la République cherche à porter la réforme dans l'organisation professionnelle des avocats, en préconisant la réduction du nombre de bâtonniers. "Les avocats, comme les journalistes, sont encore un des derniers contre-pouvoirs et il faut préserver leur indépendance".
Je note que Mireille Delmas-Marty, professeur au Collège de France (chaire d'études juridiques comparatives et internationalisation du droit), membre de l'Académie des sciences morales et politiques et qui a présidé la Commission justice pénale et droits de l'homme (1988-1990), ne dit pas autre chose :
"Qu'il s'agisse de l'instruction ou du jugement, l'enjeu n'est pas seulement technique mais aussi politique. Le souci légitime de simplifier la procédure et d'accélérer le jugement ne doit pas se traduire par un déplacement des pouvoirs au détriment des juges dont l'indépendance est garantie par la Constitution, et au profit d'un parquet qui resterait placé sous les ordres du ministre de la justice."
Voilà comment Sarkozy cherche à mettre la Justice sous son contrôle, comme il le fait pour la presse et les médias.