Le président du Conseil des ministres espagnol, Pedro Sanchez vient de négocier avec son allié parlementaire préférentiel Podemos, un projet de budget 2019, qui rompt nettement ( cf par exemple, l'augmentation sensible du salaire minimum interprofessionnel) avec les lourdes logiques d'austérité des gouvernements Rajoy, menées pendant six ans. C'est un projet qui contredit également les règles européennes en matière de déficit, sans soulever semble t il pour le moment, les mêmes objections de principe que le projet de budget italien, auprès de la Commission de Bruxelles.
Toutefois, pour que le budget soit approuvé aux Cortès, Pedro Sanchez aura besoin de toutes les voix de députés de sa majorité de circonstance. Outre Podemos cela signifie particulièrement, le vote positif des indépendantistes catalans qui rassemblent dix sept députés en deux groupes parlementaires.
Or ceux ci ( tant la droite pujoliste du PDCAT, sous tutelle désormais de l'ex président Puigdemont, que les sociaux démocrates républicains d'ERC), réclament en contrepartie de leur vote, des "gestes" en faveur de leurs 9 leaders et députés autonomistes emprisonnés préventivement sur décisions de justice, intervenues après imposition de l'article 155 de la Constitution en Catalogne.
Toute la dialectique employée par différents ministres du gouvernement ( Borrell, Calvo...) ou par Pablo Iglesias lui même, qui a rencontré longuement dans sa prison le leader d'ERC Oriol Junqueras, pour déconnecter autant que possible le vote du budget ( " peut on priver, adossés à la demande de libération des prisonniers, la Catalogne des bienfaits - augmentation de la dotation d'autonomie, investissements supplémentaires...- d'un budget général progressiste ?"), n'y a rien fait et cela peut se comprendre tant les indépendantistes sont remontés depuis un an contre les imputations judiciaires de sédition à l'égard de leurs leaders.
Cela peut s'entendre également, si l'on tient compte d'une part, que l'emprisonnement ou la fuite en exil de leurs dirigeants a considérablement affaibli les appareils politiques des indépendantistes ; d'autre part, d'une anticipation sur les peines très lourdes qui pourraient être prononcées lors du procès à venir en 2019 : la sédition contre l'ordre constitutionnel est punie de 15 à 30 ans d'emprisonnement....
Enfin, il faut aussi acter les "bougés" des indépendantistes qui ne réclament pas la libération pure et simple de leurs leaders. Ils reconnaissent en cela, la séparation des pouvoirs et l'autonomie de décision de la Justice espagnole. Ils demandent par contre, une intervention de la ministre de la Justice auprès du Procureur Général de l'Etat qui consisterait à retirer de l'accusation publique la plainte de sédition. Cela n'empêcherait pas le processus judiciaire de se poursuivre, mais cela rendrait patent que le gouvernement espagnol n'allègue plus un usage de la violence hypothétique par les dirigeants catalans poursuivis et restreindrait l'accusation publique à d'autres chefs d'inculpation ( malversation de fonds publics....).
Mais, le PSOE qui docilement toute une année durant, a appuyé le traitement judiciaire par le gouvernement Rajoy, du processus indépendantiste, a bien du mal parvenu au gouvernement par le miracle de la motion de censure, de se départir de cette position. Pour le moment il s'est retranché derrière l'argument de la séparation des pouvoirs et de l'indépendance de la justice.
Or, c'est une position très faible dans le cas d'espèce : le parquet Espagnol de la base au sommet est organisé peu ou prou comme en France. Nullement indépendant, ses membres sont nommés et hiérarchiquement dépendants du ministère de la Justice. Cela ne veut pas dire qu'ils sont des robots et aux ordres. A contrario, ils sont logiquement tenus par les orientations pénales du gouvernement. Et si celui ci devait estimer que son prédécesseur s'est fourvoyé en invoquant une sédition violente pendant le conflit politique catalan, ce serait l'honneur des procureurs d'en tenir compte dans l'accusation publique.
De plus, il existe des précédents récents d'utilisation très partisane du lien pouvoir exécutif /parquet : lorsque le juge d'instruction Castro chargé de l'affaire Noos a voulu incriminer l'infante Cristina, soeur du roi Felipe VI, pour complicité de détournement de fonds publics ( co auteure avec son mari), le procureur Horrach a refusé de soutenir l'accusation publique sur ce thème. Comme lui même l'a révélé ultérieurement, ses instructions avaient été prises à Madrid, sur entretien avec le procureur général de l'Etat.... Résultat au procès : si le mari Urdangarin a bien été condamné à de la prison ferme, l'infante royale a bénéficié d'un acquittement.
Le même traitement de faveur a été réservé à plusieurs reprises ces derniers mois, au roi émérite Juan Carlos, nominalement justiciable depuis qu'il n'est plus monarque en fonctions, mais pour qui toutes les poursuites possibles ( pour évasion fiscale notamment) sont systématiquement enterrées sur instruction du gouvernement et de sa courroie de transmission du Parquet Général de l'Etat.....
C'est pourquoi, se borner à tenir sur un principe diamantin d'indépendance du pouvoir judiciaire et parier sur la bienveillance acquise, à sens unique des indépendantistes, aboutira très certainement au refus du projet de budget et la chute du gouvernement de Sanchez.
Encore une fois, c'est un "geste" qui lui est demandé. Une déclaration du président du Conseil, reconnaissant l'inanité des poursuites pour sédition et pariant de nouveau pour une résolution politique du conflit catalan, serait entendue tout autant par le Procureur Général de l'Etat que par les autres espagnols....Encore un effort Pedro Sanchez !