Admirateur sans bornes de l'oeuvre de Mario Vargas Llosa ; jusqu'à ce billet de blog adhérent sans restrictions de ses prises de position pour la liberté d'expression, les formes démocratiques de l'exercice du pouvoir, et tout simplement conquis par le brio et la sincérité de son point de vue sur le cours des affaires humaines, je suis très triste d'observer l'acharnement de cet écrivain adoré pour promouvoir à l'arraché, la victoire contestée de Keiko Fujimori.
A la parution de son premier éditorial hebdomadaire dans El Pais, soutenant Keiko Fujimori, voici quelques semaines, je suis resté perplexe et déjà quelque peu déçu par les faibles arguments du Nobel. En gros et je caricature très certainement, puisque Keiko Fujimori avait cette fois promis de respecter les règles de l'Etat de droit démocratique péruvien, qu'elle adressait de vagues excuses sur sa grosse responsabilité pour le chaos institutionnel où demeurait le Perou, il fallait lui faire confiance en tant que "moindre mal ou mineur" et voter pour elle plutôt que pour le bolivarien, Pedro Castillo et son programme collectiviste et expropriateur.
Je passe sur la condescendance de ces colonnes éditoriales très suivies de Mario Vargas Llosa, à l'égard du parcours du syndicaliste et maître d'école Castillo, surgi de la campagne péruvienne. Suis passé également sur le silence de l'écrivain concernant les poursuites et accusations de corruption qui pèsent sur Keiko Fujimori et pour lesquelles des juges réclament l'emprisonnement de la candidate. Passé également sur les méfaits d' Alberto Fujimori père de Keiko, condamné pour ses exactions, les disparitions forcées de sa présidence et que sa fille veut gracier si elle est élue.
Oui, je l'avoue, ne trompant que moi même, sous l'emprise intellectuelle d'une admiration aveugle, j'ai ignoré cette prise de position de Vargas Llosa. J'escomptais naïvement que sa position de principe démocratique l'amènerait au final à reconnaître le résultat de l'élection y compris si le vainqueur était Castillo.
Rien de tout cela. Mario Vargas Llosa a persisté les semaines suivantes dans le soutien sans distances à l'égard de Keiko Fujimori. Son article de dimanche dernier "No le quiten el cuerpo à la jeringa" d'une part, prenait pour argent comptant jusqu'à la plus infime contestation de bulletins de votes par l'équipe Fujimori, d'autre part persistait dans la dénonciation calomnieuse du programme social de Castillo et de ses intentions liberticides prêtées. L'écrivain terminait pour appeler à des recomptages sans fin et intimait à la Junte Electorale de ne rien proclamer tant que les dernières et successives réclamations de Keiko Fujimori n'auraient pas été examinées.
Depuis, je rumine sur le pourquoi de ce revirement oligarchique de Mario Vargas Llosa. Rien à voir avec un naufrage supposé de la vieillesse. Non j'ai toujours confiance dans la verdeur intellectuelle de mon idole. Il s'agit malheureusement de stratégie politique : en aidant par son prestige et sa stature internationale Keiko Fujimori, à retarder la proclamation des résultats qui donnent une faible mais réelle avance à Pedro Castillo, Mario Vargas Llosa se fait complice du désordre institutionnel et des manoeuvres en cours au Pérou pour passer outre l'élection. Des militaires ( à la retraite parait il !) font circuler des motions pour passer à l'action. La Junte Electorale Nationale est complètement sous pression et voici vingt quatre heures l'un de ses procurateurs a renoncé à siéger privant l'instance de quorum.....
Donc oui, les prémisses d'un coup d'Etat sont là et le prix Nobel de littérature en sera le complice moral si le le chaos prévaut.
Je me suis souvenu que dans le magistral " la fiesta del chivo" où Mario Vargas Llosa romançait la chute de la dictature Trujillo à Saint Domingue, le pays ne passait pas de la dictature à la démocratie plus ou moins contrôlée, par la mobilisation du peuple.... Non, un attentat de militaires contre Trujillo, permettait au président fantoche ( désigné par Trujillo) Balaguer de neutraliser par des manoeuvres astucieuses et sous protection des cuirassés yankees, la vieille garde du régime et revenir à un régime plus "civilisé".
J'aimerais être détrompé et ne pas devoir constater que le rêve final de Vargas Llosa pour son pays natal, c'est aussi une démocratie d'opérette, contrôlée à l'arrière scène par les militaires. Combien je serais heureux également que mon Everest en littérature et parangon moral évite de déchoir en concrétisant ce rêve.