Le 22 octobre 2017, quelques jours après la décision du gouvernement central à Madrid d'imposer le 155 de la Constitution à la Catalogne, je me livrais sur mon blog, à un exercice de pronostic sur l'évolution de la crise, compte tenu de la suspension de l'auto gouvernement.
Le fil rouge du raisonnement brodait une hypothèse où le gouvernement central ne cédait rien en matière de dialogue ; où les partis indépendantistes ignoraient de facto le 155 et instauraient une dualité de pouvoir.... Ces deux intransigeances pouvaient de par leur propre logique déboucher sur une déconnexion politique, puis juridique "por descuido" ( que personne n'aurait voulu !) de l'Espagne et de la Catalogne.
Quelques mois après, tous les ingrédients d'une crise aggravée produisent leurs effets sur les deux sociétés. Tous les jours, sans exceptions, les média espagnols, presse papier ou numérique, journaux télévisés, innombrables débats, ouvrent et décortiquent à l'infini les méandres de la situation politique en Catalogne. Avant d'enchaîner sur les faits divers et de société. Actuellement, rien d'autre n'imprime sur les citoyens de la réalité espagnole, comme par exemple le budget 2018, toujours pas approuvé par les Cortès, alors même que les jeunes, les retraités.... sont en grande attente de quelques mesures de revalorisation des salaires ou des pensions.
Les villes de la Castille et de la Catalogne se sont de manière extravagante, dans tous les quartiers, enrubannées de leurs emblèmes nationaux. Rien à l'heure actuelle n'est susceptible d'entamer la détermination des deux camps. Pourtant l'entropie politique a bien avancé son oeuvre de désagrégation...
Le gouvernement central est aux abonnés absents. Les affaires courantes en Catalogne, y compris le maintien de l'ordre continuent à être gérées par les services de la Generalitat. Seule habileté de Madrid, il n'y a pas eu de gouvernement fantoche désigné mais un conseil de secrétaires d'Etat madrilènes, dirigé par la vice présidente Saenz de Santamaria, supervise les services publics de l'ex région autonome.
En dehors de cet arrangement technique, aucune initiative politique n'a été prise. Les élections autonomiques de décembre ont reconduit la majorité en sièges des indépendantistes mais Rajoy n'en a eu cure, totalement soutenu explicitement ( hormis Podemos) par les partis espagnols aux Cortès.
Il fait ce qu'il a toujours fait dans sa vie politique : gagner du temps, ne prendre aucun risque.... Mais cyniquement, son gouvernement a pisté chaque mouvement des anciens ou nouveaux élus catalans et multiplié les saisines du pouvoir judiciaire.
Celui ci non seulement n'a pas déçu les espérances du gouvernement central, mais arc bouté sur son indépendance , s'est montré d'un activisme embarrassant :
Selon les décomptes à la hausse régulièrement, 28 politiciens (nes) sont aujourd'hui poursuivis par le Tribunal Suprême, pour sédition contre l'ordre constitutionnel. Plusieurs sont en prison ; d'autres libérés sous caution, d'autres encore poursuivis et en fuite à l'étranger. En réalité, c'est toute l'élite indépendantiste ( direction des partis , des associations nationalistes, des institutions catalanes - Govern, Parlement...-) qui est à la merci d'une décision judiciaire contraignante et/ou privative de liberté.
Il n'y a donc pas de dualité de pouvoirs, au sens politique du terme, comme je l'avais évoqué dans mon premier billet cité, puisque les antagonistes du pouvoir central sont en prison, ou sous menace d'y aller. Pas de structures de base en rébellion non plus. Il n'y a donc pas déconnexion de fait.
Mais aucune normalité n'a prévalu non plus. Au contraire, depuis deux jours, l'arrestation en Allemagne ( sur la base d'un euro ordre espagnol) de Carles Puigdemont, ex président de la Generalitat, provoque manifestations agitées, et coupures de routes en Catalogne.
Certes, et les éditorialistes des médias nationaux le soulignent, ce n'est pas la classe ouvrière catalane, les salariés de l'industrie qui sont dans la rue. Ce n'est pas non plus une raison pour ironiser lourdement ( de manière insultante) sur la petite ou moyenne bourgeoisie catalane qui représenterait le gros des manifestants ( cf encore aujourd'hui les pages opinions des grands quotidiens).
Ces forces sociales ont de tout temps gouverné en Catalogne : sous la 2ème République avec l'abstention des anarchistes catalans ; depuis la transition démocratique, par la grâce de toutes les concessions d'auto gouvernement consenties à Pujol et ses affidés. Ces forces sont bien enracinées dans la société, dans le gouvernement autonomiste, dans les services publics. Ce n'est donc pas le meilleur des calculs politiques que de faire table rase de ces classes sociales et d'enfermer leur représentation politique.
Car les constitutionnalistes catalans ( Ciudadanos, PSC, PP) s'ils représentent eux aussi une fraction de ces classes sociales, n'ont pas la majorité au Parlement et ne pourraient gouverner qu'au bénéfice de vagues d'arrestation encore plus importantes.
En tentant, peut être imprudemment d'actualiser mon pronostic de fin octobre, ma crainte re exprimée aujourd'hui, ce n'est donc pas une déconnexion des deux sociétés, des deux nations par "inadvertance", mais plutôt par "incompétence".... Je précise que le vocable castillan "impericia" traduit le mot incompétence, mais contient également des notions telles que l'incapacité à agir, le manque d'aptitude ou de vouloir....Toutes choses qui se remarquent parfaitement dans les actes du gouvernement espagnol.
Que faire ? Le peuple espagnol ne peut pas se résigner au laisser faire et à l'inertie des corrompus du PP. Le gouvernement minoritaire de Rajoy, ne peut sérieusement être ébranlé que par un discours plus étoffé sur le compromis politique recherché en Catalogne.
L'appel au dialogue constant de Podemos est peine perdue, si les indépendantistes d'ERC, CUP , le parti de Colau et Domenech et PSC ne peuvent y reconnaître des propositions politiques ( donner un contenu réel au fédéralisme espagnol par exemple...) qui permettraient de former une nouvelle coalition d'abord en Catalogne, à l'occasion de nouvelles élections autonomiques qui se profilent dans les deux mois.
La Crise politique en Catalogne a totalement pétrifié le paysage politique à Madrid ( personnifié par le soutien sans participation du PSOE, à l'alliance explicite du PP-Ciudadanos) ; c'est de son déblocage que de solutions nouvelles au règne du PP peuvent surgir.