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Billet de blog 2 mai 2012

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Le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales, une arme contre le communautarisme

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Certains aujourd'hui, quelle que soit par ailleurs leur préférence électorale pour le second tour de la présidentielle, présentent le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales comme une mesure favorisant le communautarisme, pain bénit pour Sarkozy donc, puisque cela lui permet d'attaquer son concurrent sur ce chapitre. En suggérant que c'était très exactement l'inverse en commentant un article du Monde, je me suis vu répondre par certains que je vivais sur une autre planète : peut-être, tout simplement, que je vis dans une autre définition de la république laïque que ces derniers.

Ce ne sont pas les échanges, particulièrement limités et frustrants, que permet le commentaire des articles du Monde, qui permettront l'échange d'arguments sur ce point : avec 3*500 caractères, sans parler de certaines interventions censurées ou mises en attente on ne sait trop pourquoi, on ne va pas très loin. Pourtant, le sujet en vaut la peine. Il vaut la peine, en particulier, de sortir de la confrontation de positions vécues et présentées comme irréductibles à la confrontations d'arguments.

Certes, ce n'est pas nouveau que la question des droits reconnus aux résidents étrangers clive l'opinion, et il faut remarquer que ce n'est pas strictement un clivage droite-gauche, même si les électeurs de gauche y seront sans doute beaucoup plus souvent favorables. Derrière cette mesure, en apparence aux effets limités (restreinte aux élections municipales et à un électorat - les résidents légaux non européens présent depuis plus de 5 ans sur le territoire - qui n'est pas si important numériquement à l'échelle nationale, au point de bouleverser les élections futures), se trouve convoquée une certaine conception de la république et de la laïcité. C'est dans ce débat que s'insère la référence au communautarisme.

Ma position sur ce point est assez simple : ce débat suffit à prouver aujourd'hui l'étendue des malentendus sur ce qu'est vraiment la laïcité, et quelle conception de la république elle permet de promouvoir. Je m'appuierai ici, n'étant ni généalogiste de la laïcité, ni politiste, ni philosophe, sur la définition du communautarisme proposée par Catherine Kintzler (point 4). Celle-ci insiste sur la différence entre la reconnaissance des communautés, fondée sur la liberté d'association, et une première forme de communautarisme : le communautarisme social, qui apparaît comme une situation où un groupe social exerce une pression "négatrice de la liberté des individus". Ce point à lui seul légitimerait bien des remarques, dont je ne retiendrai qu'une seule : les situations où un groupe social exerce une telle pression sur les libertés individuelles me paraissent se rencontrer extraordinairement souvent ; mais un tel communautarisme pose un problème social, voire politique, particulièrement aigü, là où les personnes soumises à cette pression n'ont pas de moyen d'y échapper, fût-ce en échappant à leur appartenance au groupe : bien sûr qu'on pense alors aux appartenances liées à l'origine, parce qu'elles s'appuient sur les liens familiaux et des formes de protection rapprochée dont les personnes ne peuvent se départir sans risque, surtout si ces appartenances sont au fondement d'appartenances territoriales (on peut d'autant moins échapper à son appartenance qu'elle s'inscrit dans le quartier et dans la famille, où l'on est connu comme fille/fils de, avec telle ou telle origine...), mais les appartenances à un milieu professionnel ne sont pas forcément moins tyranniques sur les individus, en particulier dans un contexte de chômage de masse, ou simplement parce que les personnes sont insérées depuis longtemps dans un même emploi qu'elles ne vont pas quitter à la moindre pression sur leur liberté individuelle. Je ne suis pas sûr que la période actuelle ait beaucoup vu progresser la reconnaissance des libertés à l'égard des groupes, par ailleurs. En effet, à ce stade, la lutte contre le communautarisme pourrait prendre la forme d'une volonté émancipatrice. Or, chez les contempteurs du droit de vote des étrangers, ceux-ci fussent-ils présents depuis 5 ans ou plus, et en situation régulière, cette volonté émancipatrice paraît singulièrement absente, alors qu'elle pourrait s'appuyer sur une reconnaissance du droit de participer à la vie de la cité par le vote ou des candidatures, justement.

Si la république ne fait pas barrage au communautarisme social ("si on ne protège pas les individus, si on sacralise la vie en commun sans discernement, si on n’est pas ferme sur le droit fondamental à vivre séparé"), Catherine Kintzler développe ensuite comme inéluctable le développement de ce qu'elle appelle le communautarisme politique, consistant "à ériger un groupe en agent politique, à vouloir pour lui des droits et des devoirs distincts des droits et devoirs communs à tous". En l'espèce, le fait d'accorder le droit de vote suffit-il à "ériger" ses (potentiels) titulaires en "agent politique" ? Il s'agit en tout cas d'accorder un droit déjà reconnu aux nationaux, mais aussi aux ressortissants de l'UE. En cela, on pourrait dire que c'est un moyen de lutte contre le communautarisme : la définition ne suppose pas que ces droits et devoirs sont plus étendus ou plus limités que les droits communs. Dira-t-on alors que ce droit de vote ne s'assortit pas des mêmes devoirs ? Pourtant, la nationalité, à elle seule, est productrice de bien peu de devoirs. Bien au contraire, on peut prouver par de nombreux exemples que les résidents non nationaux en France sont assujettis à une multitudes de démarches et d'obligations contraignantes, qui s'étendent aussi aux conjoints de ces derniers, à ceux qui les hébergent, à ceux qui les emploient légalement, tout en étant par ailleurs soumis à l'impôt et aux cotisations sociales. Ils sont, surtout, assujettis comme les autres résidents sur le territoire à l'autorité des instances territoriales élues (comme les maires, les conseillers généraux et régionaux) et nommées (comme les préfets). En tout cela, leur exclusion de tout droit de vote tend à renforcer en leur sein le communautarisme social, car seule la force du groupe (et ce qu'elle implique de loyauté de ces derniers au groupe) peut faire pendant à la fragilité socio-économique que l'on constate dans les populations immigrées en France, mais aussi à leur fragilité politique, en ce qu'elles ne disposent d'aucun poids dans la représentation politique, ce qui les prive d'un des principaux moyen reconnu comme légitime et fondateur de l'appartenance à la vie de la cité, le vote.

Reste la crainte d'un vote "communautaire", qui me rappelle les craintes qui ont accompagné, toutes proportions gardées, la reconnaissance du droit de vote des femmes : admettons qu'il ne faut pas prendre ce risque à la légère, compte tenu des phénomènes de concentration des immigrés dans certains quartiers, qui résulte souvent de la stigmatisation de ces quartiers, poussant à partir tous ceux qui ont suffisamment réussi économiquement, socialement, scolairement. La possibilité que se constituent des listes communautaires, voire confessionnelles, a tendance à effaroucher, surtout ceux qui ont une image monolithique et rétrograde de l'islam. Pour autant, même ainsi, les pouvoirs municipaux peuvent être limités par des actions en justice, qui n'auraient même pas à être initiées par des habitants, mais pourraient l'être par des préfets. Autrement dit, c'est à la seule condition que le pouvoir judiciaire, les préfets, les associations, les administrés eux-mêmes ferment les yeux, que des listes "communautaristes" pourraient être élues et imposer des politiques dérogeant à la laïcité ou à l'ordre républicain. Il faut dire que le vrai danger, en l'espèce, est d'avoir laissé certains territoires dans un tel état de déshérence que la première chose  que font tous ceux qui en ont la capacité est de les fuir : voilà un problème franco-français, devant lequel il me semble que droite et gauche partagent la même responsabilité, et qui porte en germe tous ces risques de communautarisme social et politique, puisque les résidents de certains quartiers ne semblent effectivement pas disposer des mêmes droits, ni peut-être, être assujettis aux mêmes devoirs, qui ceux qui résident dans des quartiers mieux pourvus en services publics et moins abandonnés. Mais là encore, si l'on pousse le raisonnement jusqu'au bout, si dans ces quartiers résident beaucoup de personnes dépourvues du droit de vote, comment s'étonner que les politiques, au premier rang desquels les maires, s'en désintéressent ? Si demain plus d'habitants de ces quartiers prennent le chemin des bureaux de vote, ce sera un premier pas, certes insuffisant, mais un premier pas tout de même, sur la voie de leur intégration.

Un argument similaire peut s'appliquer à la crainte, souvent non dite, mais qu'il me semble tout de même discerner, que les populations nouvellement pourvues du droit de vote, favorise un camps, en l'occurrence celui du parti qui aura accordé le droit de vote en question, c'est à dire le PS et ses éventuels alliés, verts notamment. Derrière cette crainte vient le procès d'intention : celui de renforcer les communautés, voire le communautarisme. Certes, le PS étant moins hostile aux immigrés que l'UMP, cela se traduit à la fois sur l'intention d'accorder le droit de vote, et sur d'autres mesures concernant l'immigration et ce qu'on pourrait appeler la "police des immigrés" : leur contrôle social et administratif, visant à les "cibler" spécifiquement lors de contrôle d'identité, dans la lutte contre le trafic de drogue, à laisser se développer une relation extrêmement conflictuelle entre police et jeunes issus de l'immigration... Malheureusement, on peut aussi dire que cette accusation de communautarisme contre le PS et la gauche, qui à mon avis est infondée, injuste, et, pour tout dire, profondément tactique, a pour effet de murer le PS au pouvoir dans un attentisme assez lamentable, précisément pour ne pas apparaître comme laxiste ou favorable au communautarisme, faute d'une lecture correcte des enjeux. Quand on regarde un peu dans le détail, on voit pourtant que les "mesures" que cite la droite pour dénoncer le "communautarisme" de la gauche, méritent pour le moins qu'on les réexamine (comme l'existence d'une tranche horaire non mixte dans une piscine de Lille, qui n'a même pas été instaurée par Aubry, mais par Mauroy). En pratique, rares sont les villes où la concentration d'une communauté singulière pourrait peser à elle seule dans l'élection, surtout si l'on pense au fait qu'il n'y a que très rarement une seule communauté mais plusieurs, issues de différents pays, qui ne partagent ni la même histoire, ni les mêmes références, ni le même rapport à la religion, sans parler de la laïcité. La diversité a de grande chance de l'emporter sur les comportements de vote "communautaire", contre lesquels il existe de nombreux moyen de lutte, à commencer par l'éducation, l'éducation populaire, les campagnes électorales elles-mêmes, tous les moyens de revitalisation, sans parler du plus simple : le vote à bulletin secret, qui n'est pas le moins important. Voilà pour le procès d'intention.

Reste la crainte de perdre des élections municipales à cause de ces nouveaux électeurs. On pourrait sans doute montrer que les municipalités réellement concernées sont souvent à gauche, mais si crainte il y a, elle représente peut-être surtout un défi pour la droite et la gauche, qui pose au fond les mêmes questions que l'intégration dans les politiques municipales des jeunes issus de l'immigration nés en France (qui ont le droit de vote, donc, mais trop souvent, s'abstiennent) : la capacité de la droite républicaine, demain, de renvoyer autre chose que des accusations de communautarisme à tout une partie de la population, de revitaliser les quartiers, de mener une politique à la fois laïque et non stigmatisante. Le droit de vote des étrangers aura au moins cette vertu de pouvoir l'y encourager, en particulier dans le sud-est et dans l'est de la France.

Au delà, on peut comprendre que les partis (PS compris) dont les élus gèrent de nombreuses villes en France n'aient pas envie d'obliger ces derniers à traiter comme des électeurs et des citoyens une composante de leur population qu'ils traitaient jusqu'à présent comme étant en marge de la citoyenneté, en particulier si ils lui prêtent des intentions communautaristes. Raison de plus pour refuser ces craintes et les obliger à accepter demain cette citoyenneté : on peut gager que de nouveaux comportements, plus respectueux de cette citoyenneté républicaine et de la laïcité, ne manqueront pas d'en sortir de part et d'autres.

Première version de ce billet, sur le site du Monde

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